Ne vous embarrassez pas dans des actes d’humilité, dans de petits moyens pour vous corriger de vos défauts ou échapper à vos histoire passées…laissez tous ces petits moyens, laissez là tout cela !et élancez-vous à Moi dans la foi, qui ne craint pas de Me demander des prodiges de grâces. Que les âmes s’élancent vers Moi dans l’Amour, et si elles ne l’ont pas, qu’elles me le demandent…et la face de la terre sera renouvelée.

“Je veux vivre dans votre cœur,
mais il doit être clair et pur”
 

"Cherche en vérité. Cherche en tes profondeurs l'essence originelle,

et ton coeur s'ouvrira à toute l'humanité"

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atma-yoga.over-blog.com

    

" Il arrive dans la vie, des moments où se concentrent des choix essentiels. Des moments où le feu de notre âme nous rappelle à l’action juste.

Il est maintenant ce moment où nous sommes invités, à la faveur d’une mystérieuse conjonction, à quitter le port et reprendre la mer, à partir vers l’inconnu. Il est maintenant ce moment où nous pouvons oser chercher ce que nous sommes en vérité. Cette aventure est d’autant plus impérative que les formes nouvelles du spirituel restent enfermées dans des recherches de « toujours plus », qui ne sont que le désir d'un super-ego, avec toujours un manque essentiel. Il s’agit de démystifier la quête essentielle. Il s'agit de se libérer de la fascination pour les magies de puissance. Il s'agit de ne plus se laisser hypnotiser par l'appel du merveilleux. Il s'agit de voir tous ces pièges qui droguent les consciences humaines, maintenant le chercheur spirituel dans un infantilisme sclérosant.

Les temps ne sont plus à l'adoration des héros, des demi-dieux, des maîtres, ni à la recherche de quelques secrets cachés, mais à la reconnaissance de notre liberté spirituelle souveraine, à l’aventure libre enfin de la conscience et de la joie. L’éveil à notre liberté essentielle apparaît comme un but de la vie spirituelle. Cet éveil donne le sentiment d’être soudain. Cependant les événements qui y conduisent sont progressifs. Y aurait-il un processus décelable ?"   (extrait de Tout est Un)      

                    https://sophro.onlc.fr   ;   https://transpersonnel.net/       https://www.ecole-nouvelle-yoga.fr/

Au plus profond de notre conscience,  existe un espace sacré, un lieu saint, un Centre divin. Là, en ce merveilleux sanctuaire, une voix se fait entendre, une voix si douce. C’est une présence d’amour en nous qui demande à être éveillée.  Et qui frappe à la porte de notre cœur.

Aujourd'hui, on parle beaucoup d'éveil, de non-dualité, d'enseignements de Présence… où l'accent est mis sur l'atteinte d’un état éventuel de conscience différente obtenu par une attention de tous les instant. En Inde ceci s'appelle la voie du singe. Le singe s'agrippe à sa mère et doit bien tenir s'il ne veut pas tomber. 

Maix il existe aussi la voie du chat. . Le chaton lui se laisse porter sans s'occuper de rien... Telle est la voie de Maa

aurobindo

20/02/2014 00:15
Sri Aurobindo présenta un yoga intégral qui conduisait à une plénitude du coeur (Heartfulness)
 
Je ne partage pas l'opinion selon laquelle le monde est une illusion, mayā. Le Brahman est ici, tout comme dans l'Absolu supracosmique. Ce qu'il faut surmonter, c'est l'Ignorance qui nous rend aveugles et nous empêche de réaliser Brahman dans le monde comme au-delà, et la vraie nature de l'existence.
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La connaissance de Shankara n'est, comme l'a remarqué votre gourou, qu'un seul côté de la Vérité; c'est la connaissance du Suprême tel qu'il est réalisé par le Mental spirituel à travers le silence statique de la pure Existence. C'est parce qu'il se fondait sur ce seul aspect que Shankara était incapable d'accepter ou d'expliquer l'origine de l'univers autrement que comme une illusion, une création de Maya. À moins de réaliser le côté dynamique du Suprême aussi bien que son côté statique, il n'est pas possible d'avoir l'expérience de la véritable origine des choses et de l'égale réalité du Brahman actif. La Shakti ou Pouvoir de l'Éternel n'est plus alors qu'un pouvoir de l'illusion et le monde devient incompréhensible, mystère de folie cosmique, éternel délire de l'Éternel. Quelle que soit la logique verbale ou idéative introduite pour la soutenir, cette manière de voir l'univers n'explique rien; elle construit simplement une formule mentale de l'inexplicable. Ce n'est que si vous approchez le Suprême à travers son double aspect de Sat et de Chit-Shakti, double mais inséparable, que la vérité totale des choses peut devenir évidente pour l'expérience intérieure. Cet autre aspect a été développé par les tantriques de la Shakti. Les deux ensemble, la vérité védântique et la vérité tantrique unifiées, peuvent parvenir à la connaissance intégrale.
Mais philosophiquement, c'est à cela qu'aboutit l'enseignement de votre gourou, et c'est évidemment une vérité plus complète et une connaissance plus vaste que celle que donne la formule de Shankara. Elle est déjà esquissée dans l'enseignement de la Guîtâ sur le Pouroushôttama et la Para Shakti (Âdyâ Shakti) qui devient le Jîva et soutient l'univers. Il est évident que Pouroushôttama et Para Shakti sont tous deux éternels et sont inséparables et un en tant qu'être: la Para Shakti manifeste l'univers, manifeste aussi le Divin dans l'Univers comme l'Îshwara, et Elle-même apparaît à son côté comme la Shakti de Îshwara Ou, pouvons-nous dire, c'est le suprême Pouvoir conscient du Suprême qui se manifeste ou se projette en tant qu'Îshwari de Îshwara, Âtma-Shakti de l'Âtmâ, Prakriti du Pourousha, Jagat du Jîva. Telle est la vérité dans sa totalité dans la mesure où le mental peut la formuler. Dans le supramental ces questions ne se posent même pas; car c'est le mental qui crée le problème en créant des oppositions entre des aspects du Divin qui ne sont pas vraiment opposés l'un à l'autre mais sont un et inséparables.
Cette connaissance supramentale n'a pas encore été atteinte, parce que le supramental lui-même n'a pas été atteint, mais son reflet dans la conscience spirituelle intuitive est là et c'est évidemment ce que votre gourou a réalisé en expérience et ce qu'il a exprimé en termes intellectuels dans le passage cité. Il est possible d'aller vers la connaissance en commençant par l'expérience de la dissolution dans l'Un, à condition de ne pas s'arrêter là, de ne pas prendre cela pour la plus haute Vérité, mais de poursuivre en réalisant le même Un comme la Mère suprême, la Conscience-Force de l'Éternel. Si, d'autre part, votre approche se fait par la Mère suprême, elle vous donnera aussi la libération dans l'Un silencieux aussi bien que la réalisation de l'Un dynamique, et à partir de là il est plus facile de parvenir à la Vérité dans laquelle tous deux sont un et inséparables. En même temps un pont est jeté sur l'abîme créé par le mental entre le Suprême et Sa manifestation et il n'y a plus dans la vérité cette faille qui rend tout incompréhensible. Si vous examinez dans cet éclairage ce que votre gourou vous a enseigné, vous verrez que c'est la même chose en termes moins métaphysiques.
Quant à l'âdésha, les gens en parlent sans faire les distinctions nécessaires, mais ces distinctions doivent être faites. Le Divin nous parle de différentes manières et ce n'est pas toujours l'âdésha impératif qui vient. Quand c'est le cas, c'est clair et irrésistible, le mental doit obéir et il n'est pas possible de se poser de questions, même si ce qui vient est contraire aux idées préconçues de l'intelligence mentale. C'est un âdésha de ce genre que j'ai reçu quand je suis parti pour Pondichéry. Mais plus souvent ce qui est dit est une suggestion, ou même moins, une simple indication que le mental peut ne pas suivre parce qu'il n'est pas convaincu de sa nécessité impérative. C'est quelque chose qui est offert, mais non imposé, peut-être quelque chose qui n'est même pas offert mais seulement suggéré par la Vérité au-dessus.
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Si votre manière de voir est conforme à la conception de Shankara, selon laquelle Brahman est une Conscience pure indifférenciée, alors ce n'est pas le sentier de notre yoga que vous devriez choisir; car ici la réalisation de la pure Conscience et de l'Être pur n'est qu'un premier pas et non le but. Un élan intérieur créateur venant du dedans ne peut avoir sa place dans une Conscience indifférenciée — toute action, toute création doit nécessairement lui être étrangère.
Je ne fonde pas mon yoga sur la base insuffisante que le Moi (non l'âme) est éternellement libre. Cette affirmation ne mène à rien au-delà d'elle-même, ou si on l'utilisait comme point de départ, elle pourrait aussi bien mener à la conclusion que l'action et la création n'ont ni signification ni valeur. La question n'est pas là, il s'agit de savoir si la création a un sens, s'il existe un Suprême, s'il n'est pas seulement une Conscience et un Être pur et indifférencié, mais aussi la source et le support de l'énergie dynamique de la création, et si l'existence cosmique a pour Lui une signification et une valeur. Cette question ne peut pas être réglée par la logique métaphysique qui traite de mots et d'idées, mais par une expérience spirituelle qui va au-delà du Mental et pénètre dans les réalités spirituelles. Chaque mental se satisfait de ses propres raisonnements, mais en matière spirituelle cette satisfaction n'a pas de valeur, si ce n'est pour indiquer jusqu'où et selon quelle voie chacun est prêt à aller dans le domaine de l'expérience spirituelle. Si votre raisonnement vous mène à l'idée shankarienne du Suprême, cela pourrait indiquer que l'Adwaïta Védânta (Mâyâvâda) est la voie de votre progression.
Notre yoga admet la valeur de l'existence cosmique et la tient pour une réalité; son objet est d'entrer dans une Conscience-de-Vérité plus haute ou une Conscience supramentale divine dans laquelle l'action et la création sont l'expression non de l'ignorance et de l'imperfection, mais de la Vérité, de la Lumière, de l'Ânanda divin. Mais pour cela, la soumission du mental, de la vie et du corps mortels à cette Conscience supérieure est indispensable, puisqu'il est trop difficile à l'être humain mortel de passer, par son propre effort, au-delà du mental jusqu'à une Conscience supramentale dans laquelle le dynamisme ne relève plus du mental, mais d'un pouvoir tout différent. Seuls ceux qui peuvent accepter l'appel d'un tel changement devraient entrer dans ce yoga.
 
 
Je ne sais pas si je peux vous aider beaucoup à répondre aux questions de votre ami. Je ne puis qu'exposer mon propre point de vue sur ces problèmes.
1. Explication shankarienne de l'Univers
 
Il est assez difficile, de nos jours, de dire ce qu'était véritablement la philosophie de Shankara: il y en a d'innombrables exégètes et aucun n'est d'accord avec les autres. J'ai lu les œuvres de douzaines d'entrés eux et chacun suivait sa propre idée. Certains nous disent même qu'il n'était pas du tout mâyâvâdin, bien qu'il ait toujours été réputé le plus grand démonstrateur de la théorie de Maya, mais plutôt le plus grand Réaliste de l'histoire de la philosophie. Un éminent partisan a même déclaré que la philosophie de Shankara et la mienne étaient identiques, ce qui m'a plutôt coupé le souffle. On avait l'habitude de penser que selon la philosophie de Shankara, la Suprême Réalité est un Absolu sans espace et sans temps (Parabrahman) qui est au-delà de tout trait ou qualité, au-delà de toute action ou création, et que le monde est une création de Maya, pas absolument irréelle, mais réelle seulement dans le temps et lorsqu'on vit dans le temps; dès que nous entrons dans une connaissance de la Réalité, nous percevons que Maya et le monde et tout ce qu'il contient n'ont pas d'existence constante ou vraie. Il est, sinon non-existant, du moins faux, jaganmithyā; c'est une erreur de la conscience, c'est et ce n'est pas; c'est un mystère irrationnel et inexplicable dans son origine, quoique nous puissions voir son processus ou du moins comment il continue de s'imposer à la conscience. Brahman est vu en Maya comme Îshwara soutenant les œuvres de Maya et l'âme apparemment individuelle n'est en réalité rien que Brahman lui-même. À la fin, cependant, tout cela semble être un mythe de Maya, mithyā, et rien de réellement vrai. Si telle est la philosophie de Shankara, elle est pour moi inacceptable et impossible à croire, quelle qu'en soit l'ingéniosité brillante, quelles que soient la hardiesse et la pénétration du raisonnement; elle ne satisfait pas ma raison et n'est pas conforme à mon expérience.
Je ne sais pas exactement ce que signifie ce yuktivāda. S'il ne s'agit que de réduire au silence les opposants, alors cette partie de la philosophie est sans valeur; la théorie de Shankara se détruit elle-même. Ou il voulait qu'elle soit une explication satisfaisante de l'univers, ou il ne le voulait pas. S'il le voulait, il est vain de l'écarter comme étant Yuktivâda. Je puis comprendre la déclaration de ce Mâyâvâdin consciencieux selon lequel la question ne se pose pas, parce que Maya et le monde n'existent pas réellement; au fait, la question de savoir comment le monde est venu à exister n'est qu'une partie de Maya; elle est, comme Maya, irréelle et ne se pose pas vraiment; mais s'il faut donner une explication, ce doit être une explication réelle, valable et satisfaisante. S'il y a deux plans et qu'en posant la question nous confondons les deux, cet argument ne peut avoir de valeur que si les deux plans ont une sorte d'existence et que le raisonnement et l'explication sont vrais sur le plan inférieur mais cessent d'avoir une signification pour la conscience qui n'est plus sur ce plan.
 
 
 
Les gens sont enclins à parler de l'Adwaïta comme s'il était identique au monisme du Mâyâvâda, de même qu'ils parlent du Védânta comme s'il était identique au seul Adwaïta; tel n'est pas le cas. Il y a plusieurs formes de la philosophie indienne qui se fondent sur la Réalité unique, mais elles admettent aussi la réalité du monde, la réalité des Multiples, la réalité des différences entre les Multiples tout comme l'identité de l'Un (bhedābheda). Mais les Multiples existent en l'Un et par l'Un, les différences sont des variations dans la manifestation de ce qui est fondamentalement toujours identique. Nous y voyons en fait la loi universelle de l'existence où l'unité est toujours la base avec une multiplicité et une différenciation infinie dans l'unité; de même, par exemple, qu'il y a une humanité mais beaucoup de sortes d'hommes, une chose nommée feuille ou fleur mais beaucoup de formes, de modèles, de couleurs de feuilles ou de fleurs. À travers cela nous pouvons revenir en arrière à l'un des secrets fondamentaux de l'existence, le secret contenu dans la Réalité unique elle-même. L'unité de l'Infini n'est pas quelque chose de limité, d'enchaîné dans son unité; elle est capable d'une multiplicité infinie. La Réalité suprême est un Absolu qui n'est limité ni par l'unité ni par la multiplicité, mais simultanément capable des deux; car tous deux sont ses aspects, bien que l'unité soit fondamentale et que la multiplicité dépende de l'unité.
Il peut y avoir un Adwaïta réaliste aussi bien qu'un Adwaïta illusionniste. La philosophie de La Vie Divine est un Adwaïta réaliste. Le monde est une manifestation du Réel et par conséquent est lui-même réel. La réalité est le Divin infini et éternel, l'Être, Conscience-Force et Béatitude, infini et éternel. Le Divin par son pouvoir a créé le monde ou plutôt l'a manifesté dans son propre Être infini. Mais ici dans le monde matériel, ou à sa base, il s'est caché dans ce qui paraît être ses opposés, Non-Être, Inconscience et Absence de sensations. C'est ce que de nos jours nous appelons l'Inconscient qui semble avoir créé l'univers matériel par son Énergie inconsciente, mais ce n'est qu'une apparence, car nous trouvons finalement que toutes les dispositions du monde ne peuvent avoir été mises en place que par l'œuvre d'une suprême Intelligence cachée. L'Être qui est caché dans ce qui semble être un vide inconscient émerge dans le monde d'abord dans la Matière, puis dans la Vie, puis dans le Mental et finalement en tant qu'Esprit. L'Énergie apparemment inconsciente qui crée est en fait la Conscience-Force du Divin, et son aspect de conscience, secret dans la Matière, commence à émerger dans la Vie, trouve quelque chose de plus de lui-même dans le Mental, et trouve son vrai moi dans une conscience spirituelle et finalement dans une Conscience supramentale à travers laquelle nous commençons à percevoir la Réalité, pénétrons en elle et nous unissons à elle. C'est ce que nous appelons l'évolution, qui est une évolution de la Conscience et une évolution de l'Esprit dans les choses et seulement extérieurement une évolution des espèces. De même, le ravissement de l'existence émerge aussi de l'absence originelle de sensations, d'abord dans les formes contraires du plaisir et du chagrin, et doit ensuite se trouver dans la béatitude de l'Esprit ou, comme elle est appelée dans les Oupanishads, la béatitude du Brahman. C'est l'idée centrale de l'explication de l'univers exposée dans La Vie Divine.
3. Nirgouna et Sagouna
 
Dans un Adwaïta réaliste il n'est pas nécessaire de considérer le sagouna comme une création du nirgouna ni même comme secondaire ou subordonné par rapport à lui: tous deux sont des aspects égaux de la Réalité unique, sa position d'état silencieux et de repos, et sa position d'action et de force dynamique; un silence de repos et de paix éternels soutient une action et un mouvement éternels. L'unique réalité, l'Être divin, n'est lié par aucune, puisqu'il n'est en aucune façon limité; il possède les deux. Il n'y a pas d'incompatibilité entre les deux, non plus qu'entre le Multiple et l'Un, l'identité et la différence. Tous sont des aspects éternels de l'univers qui ne pourrait pas exister si l'un d'eux était éliminé, et il est raisonnable de supposer que tous deux viennent de la Réalité qui a manifesté l'univers et qu'ils sont tous deux réels. Nous ne pouvons nous débarrasser de l'apparente contradiction — qui n'est pas vraiment une contradiction mais une simultanéité naturelle — en traitant l'un ou l'autre comme une illusion. Mais il est peu raisonnable de supposer que la Réalité éternelle permet l'existence d'une illusion éternelle avec laquelle elle n'a rien de commun, ou qu'elle soutient et maintient en vie une illusion cosmique vaine et n'a aucun pouvoir pour agir d'une façon différente et réelle. La force du Divin est toujours présente dans le silence comme dans l'action, inactive dans le silence, active dans la manifestation. Il n'est guère possible de supposer que la Réalité divine n'a ni pouvoir ni force ou que son seul pouvoir est de créer une fausseté universelle, un mensonge cosmique — mithyā.
4. Composés et désintégration
 
Sans aucun doute, tous les composés n'étant pas des choses intégrales en elles-mêmes mais des intégrations, peuvent se désintégrer. Il est vrai aussi que la vie, bien que n'étant pas un composé physique, a une courbe de naissance ou d'intégration et, après avoir atteint un certain point, de désintégration, de décomposition et de mort. Mais ces idées ou cette règle d'existence ne peuvent être appliquées avec certitude aux choses en elles-mêmes. L'âme n'est pas un composé mais un entier, une chose en soi; elle ne se désintègre pas, mais tout au plus entre dans la manifestation et sort de la manifestation. Cela est vrai même des formes autres que les formes physiques et les formes de vie construites; elles ne se désintègrent pas mais apparaissent et disparaissent ou tout au plus s'évanouissent de la manifestation. Le mental lui-même par opposition aux pensées particulières, est quelque chose d'essentiel et de permanent; c'est un pouvoir de la Conscience divine. Il en est de même de la vie, par opposition aux corps vivants constitués; je pense qu'il en est de même de ce que nous appelons énergie matérielle, qui est en réalité la force de la substance essentielle en mouvement, un pouvoir de l'Esprit. Pensées, vies, objets matériels sont des formations de ces énergies, construites ou simplement manifestées selon le jeu habituel de telle énergie particulière. Quant aux éléments, quel est l'état naturel pur d'un élément? Selon la Science moderne, ce qu'on appelait autrefois élément se révèle être des composés et l'état naturel pur, s'il existe, doit être un état d'énergie pure; c'est dans cet état pur que les composés, y compris ce que nous appelons éléments, doivent aller quand ils passent, par désintégration, dans le Nirvana.
5. Nirvana
 
Qu'est-ce donc que le Nirvana? Dans le bouddhisme orthodoxe il signifie bien une désintégration, non de l'âme — car cela n'existe pas — mais d'un composé mental ou d'un courant d'association ou saṃskāra que nous prenons pour nous-mêmes. Dans le Védânta illusionniste il signifie, non la désintégration, mais la disparition d'un moi individuel faux ou irréel dans l'unique moi réel ou Brahman; c'est l'idée et l'expérience de l'individualité qui disparaît et cesse ainsi — nous pourrions parler d'une fausse lumière qui s'éteint (nirvana) dans la vraie Lumière. Dans l'expérience spirituelle c'est quelquefois la perte de tout sens d'individualité dans une conscience cosmique sans borne; ce qui était l'individu reste seulement comme un centre ou un canal pour le flot d'une conscience cosmique et d'une force et d'une action cosmiques. Ou ce peut être l'expérience de la perte d'individualité dans un être et une conscience transcendants dans lesquels le sens du cosmos comme l'individu disparaît. Ou encore, ce peut être dans une transcendance qui perçoit l'action cosmique et la soutient. Mais que voulons-nous dire par individu? Ce que nous appelons habituellement de ce nom est l'ego naturel, mécanisme de la Nature qui rassemble son action dans le mental et dans le corps. Cet ego doit être éteint, autrement aucune libération complète n'est possible; mais le moi individuel ou âme n'est pas cet ego. L'âme individuelle est l'être spirituel quelquefois décrit comme le Divin lui-même soutenant sa manifestation en tant que Multiple. C'est le vrai individu spirituel qui apparaît dans sa complète vérité quand nous nous débarrassons de l'ego et de notre sens séparatif erroné de l'individualité, que nous réalisons notre unité avec le Divin transcendant et cosmique et avec tous les êtres. C'est ce qui rend possible la Vie divine. Le Nirvana est un pas vers cela; la disparition de la fausse individualité séparative est une condition nécessaire pour que nous réalisions notre être éternel véritable et que nous vivions en lui, que nous vivions divinement dans le Divin. Mais cela, nous pouvons le faire dans le monde et dans la vie.
6. Renaissances
 
Si l'évolution est une vérité et n'est pas seulement une évolution physique des espèces, mais une évolution de la conscience, ce doit être un fait spirituel et pas seulement un fait physique. Dans ce cas c'est l'individu qui évolue et croît dans une conscience de plus en plus élaborée et de plus en plus parfaite, et cela ne peut évidemment se faire au cours d'une seule courte vie humaine. S'il y a évolution d'un individu conscient, il doit donc y avoir renaissance. La renaissance est une nécessité logique et un fait spirituel dont nous pouvons avoir l'expérience. Il ne manque pas de preuves de la renaissance, dont certaines sont irrésistiblement convaincantes, mais elles n'ont pas encore été soigneusement répertoriées et rassemblées.
7. Évolution
 
Dans mon explication de l'univers j'ai mis en avant le fait capital d'une évolution spirituelle qui donnerait son sens à notre existence ici-bas. C'est une série d'ascensions, à partir de l'être et de la conscience physiques, jusqu'au vital, à l'être dominé par le moi de la vie, de là à l'être mental réalisé dans l'homme pleinement développé, et de là jusqu'à la conscience parfaite qui est par-delà le mental, jusqu'à la conscience supramentale et à l'être supramental, la Conscience-de-Vérité qui est la conscience intégrale de l'être spirituel. Le mental ne peut être notre ultime expression consciente parce que le mental est fondamentalement une ignorance cherchant la connaissance; seule la Conscience-de-Vérité supramentale peut nous apporter la véritable et complète Connaissance de Soi et Connaissance du monde; ce n'est qu'à travers elle que nous atteindrons notre être véritable et la plénitude de notre évolution spirituelle.
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Cette phrase1 est plutôt lâche dans son expression. Elle ne signifie pas que Maya est la liberté du Brahman, mais que “la doctrine de Maya revient simplement à ceci, que Brahman est libre des circonstances à travers lesquelles Il s'exprime”. Ce jeu limité n'est pas Lui, car Il ne peut être limité; c'est seulement une manifestation sous condition (partielle) mais Il n'est pas lié par les conditions (circonstances) comme est lié le jeu. Le monde est une image de quelque chose de Lui-même qu'il y a projeté, mais Il est plus que cette image. Le monde n'est pas irréel, ni illusoire, mais la vision ou la conscience que nous en avons actuellement est ignorante, et par conséquent le monde tel que nous le voyons peut être décrit comme une illusion. Jusque-là, l'idée de Maya est vraie. Mais si nous voyons le monde tel qu'il est réellement, manifestation partielle et évolutive du Brahman, alors il ne peut plus être décrit comme une illusion, mais plutôt comme une Lîlâ. Il est toujours plus que Sa Lîlâ, mais Il est en elle et elle est en Lui; elle n'est pas une illusion.
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Au sujet du Nirvana:
Quand j'écrivais dans l'Ârya,2 je présentais une vue surmentale des choses au mental et je l'exposais en termes mentaux, c'est pourquoi je devais parfois utiliser la logique. Car dans un travail de ce genre — médiateur entre l'intellect et le supra-intellectuel — la logique a sa place, bien qu'elle ne puisse pas avoir la place dominante qu'elle a dans les philosophies purement mentales. Le mâyâvâdin lui-même s'efforce d'établir son point de vue ou son expérience par un raisonnement rigoureusement logique. Seulement quand il arrive à l'explication de Maya, il ne peut, comme l'homme de science traitant de la Nature, qu'arranger et organiser ses idées sur le processus de cette mystification universelle; il ne peut expliquer comment ni pourquoi cette mystification illusoire, Maya, a pris naissance. Il ne peut que dire: “Bon, c'est comme ça. ”
Bien sûr, c'est comme ça. Mais la question est, d'abord, qu'est-ce que c'est? Est-ce réellement un Pouvoir illusoire et rien d'autre, ou est-ce l'idée que s'en fait le mâyâvâdin qui est une première vision erronée, une lecture mentale imparfaite, ou même peut-être en soi une illusion? Et ensuite, “L'illusion est-elle le seul ou le plus haut Pouvoir que possède la Conscience divine ou la Supraconscience? ” L'Absolu est une Vérité absolue libre de Maya, autrement la libération ne serait pas possible. La Vérité suprême et absolue n'a-t-elle donc pas d'autre Pouvoir actif qu'un pouvoir de mensonge, avec, sans aucun doute, car les deux vont ensemble, un pouvoir de dissoudre ou de renier le mensonge — qui est là cependant pour toujours? J'ai suggéré que cela paraissait un peu bizarre. Mais bizarre ou pas, si c'est ainsi, c'est ainsi — car, comme vous le remarquez, l'Ineffable ne peut être soumis aux lois de la logique. Mais qui doit décider s'il en est ainsi? Vous répondrez, ceux qui en arrivent là. Mais qui arrivent où? Au Parfait et au Plus Haut, pūrṇam param. Le Brahman sans traits du mâyâvâdin est-il ce Parfait, cet Accompli, est-ce vraiment le Plus Haut? N'y a-t-il pas ou ne peut-il y avoir un plus haut que le plus haut, parātparam? Ce n'est pas une question de logique, c'est une question de fait spirituel, d'expérience suprême et complète. La solution de l'affaire repose non sur la logique, mais sur une expérience spirituelle croissante, qui s'élève et s'élargit — une expérience qui doit évidemment inclure ou avoir traversé celle du Nirvana et de Maya, autrement elle ne serait pas complète et n'aurait pas de valeur décisive.
Pourtant l'accès au Nirvana a été le premier résultat radical de mon propre yoga. Je fus soudain projeté dans un certain état au-dessus, sans pensée, pur de tout mouvement mental ou vital; il n'y avait pas d'ego, pas de monde réel — seulement, quand “on” regardait à travers les sens immobiles, quelque chose percevait ou portait sur son absolu silence un monde de formes vides, d'ombres matérialisées sans substance véritable. Il n'y avait ni Un, ni même plusieurs, seulement Cela, absolument, sans traits, sans relations, pur, indescriptible, impensable, absolu, et pourtant suprêmement réel et seulement réel. Et ce n'était pas une réalisation mentale ni quelque chose que l'on percevait quelque part en haut — ce n'était pas une abstraction, c'était positif, la seule réalité positive (bien que ce ne fût pas un monde physique spatial) qui emplissait, occupait, ou plutôt inondait et noyait cette semblance de monde physique, ne laissant aucun lieu, aucun espace pour aucune autre réalité qu'elle-même et ne permettant à rien d'autre de sembler vraiment réel, positif ou substantiel. Je ne peux pas dire qu'il y avait quelque chose d'exaltant ou d'enivrant dans cette expérience, telle qu'elle m'est venue (l'Ânanda ineffable, je l'ai eu des années plus tard), mais cela m'apportait une paix indicible, un formidable silence, une infinitude de délivrance et de liberté. Je vécus jour et nuit dans ce Nirvana avant qu'il ne commence à admettre autre chose en lui ou à se modifier tant soit peu, et le cœur intérieur de l'expérience, son souvenir constant et son pouvoir de retour demeurèrent, jusqu'à ce qu'enfin il commençât à disparaître dans une Supraconscience plus grande d'en haut. Mais entre-temps une réalisation venait s'ajouter à une autre et se fondait à l'expérience originelle. Bientôt l'aspect illusoire du monde cédait la place à un autre aspect où l'illusion3 n'était plus qu'un petit phénomène de surface, avec une immense Réalité divine par-derrière, une suprême Réalité divine au-dessus et une intense Réalité divine au cœur de toutes les choses qui, tout d'abord, m'étaient apparues comme des formes vides ou des ombres cinématographiques. Et ce n'était pas un réemprisonnement dans les sens, pas une diminution ou une chute de l'expérience suprême; au contraire, c'était une élévation constante et un élargissement constant de la Vérité; c'était l'esprit qui voyait les objets, non les sens, et la Paix, le Silence, la liberté dans l'Infinitude demeurait toujours, où le monde et tous les mondes n'étaient qu'un incident continu dans l'éternité sans temps du Divin.
Voilà donc tout le problème de mon approche du Mâyâvâda. Le Nirvana, dans ma conscience libérée, se révéla le commencement de ma propre réalisation, un premier pas vers la chose complète, non la seule réalisation possible ni même la culmination finale. Il est entré sans être invité, sans être recherché et pourtant très bienvenu. Je n'en avais pas la moindre idée auparavant, je n'y aspirais aucunement, en fait mon aspiration allait tout à l'opposé, vers le pouvoir spirituel en vue d'aider le monde et d'y faire mon travail, et pourtant il est venu sans même dire “Puis-je entrer” ou “Si vous permettez”. Il est arrivé et s'est installé comme pour l'éternité ou comme si en réalité il avait toujours été là. Et puis il a grandi lentement jusqu'à devenir quelque chose, non pas de moindre, mais de plus grand qu'il n'était tout d'abord. Comment pourrais-je donc accepter le Mâyâvâda ou me convaincre d'en venir aux mains avec une Vérité qui m'a été imposée de plus haut que la logique de Shankara?
Mais je n'insiste pas pour que tout le monde passe par mon expérience ou suive la Vérité qui en découle. Je n'ai aucune objection à ce que quelqu'un accepte le Mâyâvâda comme la vérité de son âme ou de son mental ou comme leur moyen de sortir de la difficulté cosmique. Je n'ai d'objection que si quelqu'un essaie de me le faire avaler de force ou de le faire avaler au monde comme la seule explication possible, satisfaisante et globale des choses. Car il n'en est rien. Il y a beaucoup d'autres explications possibles; celle-ci n'est pas du tout satisfaisante, car au bout du compte elle n'explique rien; et à moins qu'elle ne se sépare de sa propre logique, loin de tout englober, elle exclut tout. Mais cela n'a pas d'importance. Une théorie peut être erronée ou du moins partielle et imparfaite, et néanmoins extrêmement pratique et utile. L'histoire de la Science l'a amplement démontré. En fait une théorie, qu'elle soit philosophique ou scientifique, n'est rien d'autre qu'un support pour le mental, un système pratique pour l'aider à traiter son sujet, un bâton qui le soutient et le fait marcher avec plus de confiance et poursuivre son difficile voyage. Le caractère exclusif et partiel même du Mâyâvâda en fait un fort bâton ou un stimulant vigoureux pour un effort spirituel qui se veut partiel, radical et exclusif. Il soutient l'effort que fait le mental pour s'enfuir de lui-même et de la Vie par un raccourci vers la supraconscience. Ou plutôt c'est le Pourousha dans le Mental qui veut fuir les limitations du Mental et de la Vie pour entrer dans l'Infini supraconscient. Théoriquement, la voie du mental pour parvenir à ce résultat consiste à nier toutes ses perceptions et toutes les préoccupations du vital et à les voir, à les traiter comme des illusions. Pratiquement, quand le mental se retire de lui-même, il entre facilement dans une paix sans relations où rien n'a d'importance — car dans son absolu il n'y a ni valeurs mentales ni valeurs vitales — et d'où le mental peut rapidement emprunter ce grand raccourci vers le supraconscient, la transe sans mental, suṣupti. Dans la mesure où ce mouvement est complet toutes les perceptions qu'il avait auparavant acceptées lui deviennent irréelles — illusion, Maya. C'est sur son chemin vers l'immersion.
Le Mâyâvâda, par conséquent, avec son accent unique sur le Nirvana, mis à part ses déficiences en tant que théorie mentale des choses, sert un grand but spirituel, et en tant que sentier, peut mener très haut et très loin. Et même, si le Mental était le dernier mot et qu'il n'y avait rien au-delà sauf le pur Esprit, je ne serais pas opposé à l'accepter comme la seule porte de sortie. Car ce que le mental avec ses perceptions et le vital avec ses désirs ont fait de la vie dans ce monde est un bien vilain gâchis; et s'il n'y avait rien de mieux à en espérer, le plus court chemin vers la sortie serait le meilleur. Mais mon expérience est qu'il y a quelque chose au-delà du Mental; le Mental n'est pas ici-bas le dernier mot de l'Esprit. Le Mental est une conscience d'ignorance et ses perceptions ne peuvent être que fausses, mélangées ou imparfaites — même quand elles sont vraies, un reflet partiel de la Vérité et non le corps même de la Vérité. Mais il y a une Conscience-de-Vérité, non seulement statique et introspective, mais aussi dynamique et créatrice, et je préfère aller vers elle, voir ce qu'elle a à dire sur les choses et ce qu'elle peut faire plutôt que de m'éloigner des choses par le raccourci qu'offre l'Ignorance comme sa propre fin.
Cependant, je n'aurais pas d'objection si votre attirance pour le Nirvana n'était pas seulement une humeur du mental et du vital, mais une indication de la vraie route du mental et de l'issue de l'âme. Mais il me semble que ce n'est que le recul du vital devant ses propres désirs déçus dans une insatisfaction extrême, non l'âme sautant joyeusement vers son vrai sentier. Ce vaïrâgya est lui-même un mouvement vital; le vaïrâgya vital est l'envers du désir vital — bien que le mental soit évidemment là pour donner des justifications et dire “d'accord”. Même ce vaïrâgya, s'il est exclusif et pointe dans une seule direction, peut mener au Nirvana ou en indiquer la voie. Mais il y a beaucoup d'aspects dans votre personnalité ou plutôt beaucoup de personnalités en vous; c'est en fait leurs mouvements discordants, chacun barrant la route à l'autre, comme il arrive quand ils s'expriment par le mental extérieur, qui se sont opposés à la marche de votre sâdhanâ. Il y a la personnalité vitale qui était tournée vers le succès et le plaisir, les a eus et voulait continuer mais n'a pu convaincre le reste de l'être de la suivre. Il y a la personnalité vitale qui voulait un plaisir d'une forme plus profonde et a suggéré à l'autre qu'elle pourrait bien abandonner ces choses peu satisfaisantes si elle recevait l'équivalent dans un royaume féerique de joie supérieure. Il y a la personnalité psycho-vitale qui est le vishnouïte en vous et voulait le Divin Krishna, la bhakti et l'Ânanda. Il y a la personnalité du poète, du musicien, du chercheur de beauté à travers ces choses. Il y a la personnalité vitale-mentale qui, voyant le vital barrant le chemin, tint à livrer un rude combat de tapasyâ, et c'est sans doute elle aussi qui approuve le vaïrâgya et le Nirvana. Il y a la personnalité mentale-physique qui est le Russellien, l'extraverti, le dubitatif. Il y a une autre personnalité émotionnelle-mentale dont les idées sont toutes pour le Divin, le yoga, la bhakti, le Gourouvâda. Il y a aussi l'être psychique qui vous a poussé dans la sâdhanâ et attend son heure pour émerger.
Qu'allez-vous faire de tous ces gens-là? Si vous voulez le Nirvana, vous devez ou les expulser, ou les étouffer, ou les assommer. Toutes les autorités assurent que cette histoire de Nirvana exclusif n'est pas une petite affaire (duḥkham dehavadbhiḥ, dit la Guîtâ) et votre propre tentative de supprimer les autres n'a pas été encourageante — de votre propre aveu elle vous a laissé aussi sec et désespéré qu'une orange pressée, plus de jus nulle part. Si le désert est votre voie vers la terre promise, cela n'a pas d'importance. Mais si ce n'est pas le cas, bon — il y a une autre voie — , c'est ce que nous appelons l'intégration, l'harmonisation de l'être. Cela ne peut pas être fait de l'extérieur, cela ne peut pas être fait par l'être mental et l'être vital — ils gâcheraient sûrement tout. Cela ne peut être fait que de l'intérieur de l'âme, de l'Esprit qui est le centralisateur, le centre même de ces cercles. Dans tous il y a une vérité qui peut s'harmoniser avec la vraie vérité des autres. Car il y a une vérité dans le Nirvana — le Nirvana n'est rien d'autre que la paix et la liberté de l'Esprit qui peut exister en lui-même, qu'il y ait un monde ou qu'il n'y en ait pas, que ce monde soit en ordre ou en désordre. La bhakti et l'appel du cœur pour le Divin contiennent une vérité — c'est la vérité de l'Amour divin et de l'Ânanda. La volonté de tapasyâ contient une vérité — c'est la vérité de la maîtrise de l'Esprit sur ses instruments. Le musicien et le poète représentent une vérité, la vérité de l'expression de l'Esprit à travers la beauté. Il y a une vérité derrière celui dont le mental affirme, et même derrière celui dont le mental doute, le Russellien, bien qu'elle soit loin derrière lui — la vérité de la négation des formes fausses. Même derrière les deux personnalités vitales il y a une vérité, la vérité de la possession des mondes extérieurs et intérieurs non par l'ego mais par le Divin. C'est cette harmonisation que recommande notre yoga — mais elle ne peut être accomplie par aucun aménagement extérieur, elle ne peut être accomplie qu'en allant au-dedans et en regardant, en voulant et en agissant à partir du psychique et du centre spirituel. Car la vérité de l'être est là et aussi le secret de l'Harmonie.
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On peut être conscient du moi statique essentiel sans relation avec le jeu du cosmos. De même, on peut être conscient du moi statique omniprésent dans tout sans être progressivement conscient de la viśva-prakṛti dynamique. La première réalisation du Moi ou du Brahman est souvent la réalisation de quelque chose qui se sépare de toute forme, de tout nom, action, mouvement, n'existe qu'en soi, ne considérant le cosmos que comme une masse de formes cinématographiques sans substance et vides de réalité. Telle a été ma première réalisation complète du Nirvana dans le Moi. Il ne s'agit pas d'un mur entre le Moi et le Brahman, mais d'une scission entre l'existence essentielle du Moi et le monde manifesté.
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Je crois que selon les adwaïtin. Dieu n'est que le reflet de Brahman dans Maya — tout comme Brahman est vu extérieurement comme le monde qui n'a qu'une réalité pratique, non une réalité réelle, de même subjectivement Brahman est vu comme Dieu, Bhagavân, Îshwara, et cela aussi serait une réalité pratique, non une réalité réelle qui — est et ne peut être que le Brahman sans relation tout seul dans une éternité sans monde. Du moins c'est ce que j'ai lu — je ne sais pas si Shankara lui-même l'a dit. Les adwaïtin modernes disent toujours que Shankara ne voulait pas dire ce que les gens lui font dire — aussi faut-il être prudent lorsqu'on lui attribue une opinion.
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Ils veulent démontrer que Shankara n'était pas aussi sauvagement illusionniste qu'on le représente — qu'il donnait au monde une certaine réalité temporaire, admettait la Shakti, etc. Mais ces concessions (à supposer qu'il les ait faites) ne s'intègrent pas de façon cohérente à la logique de sa propre philosophie, selon laquelle seul le Brahman existe et le reste est ignorance et illusion. Le reste n'a qu'une réalité temporaire et par conséquent illusoire en Maya. Il soutenait en outre que le Brahman ne pouvait pas être atteint par les œuvres. Si cela n'était pas sa philosophie, j'aimerais savoir ce qu'elle était. Quoi qu'il en soit c'est ainsi que les gens l'ont comprise. Maintenant que la tendance générale s'éloigne de l'illusionnisme rigoureux, beaucoup d'adwaïtin semblent vouloir chercher des échappatoires et en faire prendre à Shankara avec eux.
Vivékânanda acceptait la philosophie de Shankara avec certaines modifications, dont la principale était Daridra-Nârâyan-Sévâ qui est un mélange de compassion bouddhiste et de philanthropie moderne.
08.02.1935
 
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Évidemment Shankara voulait dire Mâyâvâda. Il n'est guère possible que tout le monde ait mal compris ses idées (qui n'étaient nullement voilées ni énigmatiques) jusqu'à ce que ses thuriféraires modernes aient découvert ce qu'elles étaient en réalité.
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Il est certain que Shankara tient debout ou s'effondre par le Mâyâvâda. Même le poème Bhadja-Gôvindam est mâyâvâdique en esprit. Je ne suis pas très familiarisé avec ses autres œuvres — aussi m'est-il difficile de dire quoi que ce soit sur ce côté de la question.
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Chittashouddhi appartient au râdja-yoga. Dans le pur Adwaïta la méthode est plutôt de se détacher par vicāra et viveka et de réaliser “Je ne suis pas le mental, pas la vie, etc. ”. Dans ce cas aucune śuddhi ne serait nécessaire — le moi serait séparé de la nature bonne ou mauvaise et la considérerait comme un mécanisme qui, sans le support de l'ātman, tomberait de soi-même avec le corps. Évidemment on peut recourir à cittaśuddhi aussi, mais pour la cessation de cittavṛtti, non pour un dynamisme plus grand au service du Divin. Shankara soutient que tout karma doit disparaître avant qu'on puisse être libéré — l'âme doit se réaliser elle-même comme akartā, il n'y a pas de solution dans les œuvres ou par les œuvres dans le pur yoga de la connaissance. Comment Shankara pouvait-il dès lors reconnaître le dynamisme? Même s'il reconnaissait la nécessité de cittaśuddhi, ce devait être comme une préparation pour se débarrasser du karma, et pour rien d'autre.
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Le sens du “je” essentiel disparaît quand il y a réalisation stable du Moi universel unique en tous, et que cela demeure à tout moment, en toutes conditions et en toutes circonstances. Habituellement cela vient d'abord dans la conscience du Pourousha et l'extension aux mouvements de la Prakriti n'est pas immédiate. Mais même s'il y a des mouvements de “je” dans les réactions de la Prakriti, le Pourousha au-dedans les observe comme un vieux mécanisme qui continue à fonctionner et ne les sent pas comme siens. La plupart des védântistes s'arrêtent là, car ils sont persuadés que ces mouvements tomberont avec la mort et que tout disparaîtra dans l'Un. Mais pour que la nature change il est nécessaire que l'expérience et la vision du Pourousha s'étendent à toutes les parties: mental, vital, physique, subconscient. Alors les mouvements d'ego de la Prakriti peuvent aussi disparaître graduellement d'un domaine après l'autre jusqu'à ce qu'aucun ne subsiste. Pour cela un samatā parfait jusque dans les cellules du corps et dans toutes les vibrations de l'être est nécessaire — samaṃ hi brahma. On en est alors complètement libéré jusque dans les œuvres. L'individu demeure, mais ce n'est pas le petit ego séparatif, c'est une forme et un pouvoir de l'Universel qui se sent un avec tous les êtres, centre d'action et instrument du Transcendant universel, plein de l'Ânanda de la présence et de l'action mais ne pensant pas et ne se mouvant pas indépendamment, n'agissant pas pour son propre compte. Cela ne peut être appelé de l'égoïsme. Le Divin ne peut être appelé ego que s'il est une Personne séparée, limitée, comme dans l'idée chrétienne de Dieu, par son caractère séparé (bien que le christianisme ésotérique abolisse même cette limitation). Un je qui n'est pas séparé de cette façon n'est pas un je du tout.
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Je doute que l'état dont vous parlez soit celui du védântin réalisé, à part évidemment la perte du sens de la personnalité et la non-identification avec le désir et les mouvements de Prakriti. Cependant il est possible que l'état du jaḍavat parahaṃsa (comme Jada Bhârata) y ressemble. Cette théorie du prārabdha karma va plus loin que cela — elle présume que même s'il y a des mouvements vitaux, ce n'est que la continuation du mécanisme de Prakriti, et cela tombera au moment de la mort. C'est peut-être possible, je ne fonde pas l'évangile de la transformation de la Nature sur une impossibilité de considérer un repos statique comme définitif — le repos statique est nécessaire, mais je ne pense pas que le fait de le considérer comme définitif soit le but de la venue dans l'existence terrestre. Je soutiens que le repos statique n'est qu'un commencement, un premier pas dans le Divin. Si quelqu'un se contente du premier pas, considérant que c'est tout ce qui lui est possible, je n'ai aucune objection à ce qu'il le prenne comme cela.
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Votre objection est correcte. L'image de la corde-serpent ne peut pas être utilisée pour illustrer la non-existence du monde, elle voudrait seulement dire que notre vision du monde n'est pas ce qu'est le monde en réalité. L'idée d'illusion complète serait mieux illustrée par le truc du saltimbanque qui grimpe à la corde, et où il n'y a ni corde ni grimpeur mais où pourtant on est persuadé qu'ils sont là.
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69
Les métaphores illusionnistes tombent toutes quand vous les poussez à fond — elles sont elles-mêmes une illusion. Nous ne sommes pas le corps, mais le corps est pourtant quelque chose de nous-mêmes. Avec la réalisation, l'identification erronée cesse — dans certaines expériences l'existence du corps n'est pas ressentie du tout. Dans la pleine réalisation le corps est en nous et non nous en lui, c'est une formation instrumentale de notre être plus vaste — notre conscience le déborde, mais aussi le pénètre — il peut être dissous sans que nous cessions d'être le moi. C'est à peu près tout.
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C'est l'expérience Adwaïta-védântique de laya. Ce n'est qu'une phase de l'expérience du Divin, non sa totalité ni sa Vérité la plus haute.
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L'impulsion vers laya est une création du mental, ce n'est pas la seule destinée possible de l'âme. Quand le mental essaie d'abolir sa propre ignorance, il ne trouve aucun moyen d'y échapper sauf par laya, parce qu'il suppose qu'il n'y a pas de principe supérieur d'existence cosmique au-delà — au-delà il n'y a que le pur Esprit, le Divin absolu et impersonnel. Ceux qui cherchent par la voie du cœur (amour, bhakti) n'acceptent pas laya, ils croient en un état de compagnie éternelle avec le Divin au-delà, ou de permanence dans le Divin sans laya. Tout cela, mise à part la supramentalisation. Qu'advient-il alors de votre point de départ selon lequel laya est la destinée inévitable de l'âme et seule la descente de l'Avatar nous sauve de l'inévitable laya!
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L'erreur porte sur deux points: (1) autrefois l'âme, une fois qu'elle avait atteint le Divin, n'avait pas d'autre possibilité que laya. Il y avait d'autres possibilités, par exemple passer dans un plan plus élevé, vivre dans le Divin ou dans la présence du Divin. Les deux impliquent le refus de la naissance et l'abandon de la Lîlâ sur la terre. (2) c'était uniquement dans le but de vivre avec le Divin incarné et en relation de cette descente que l'âme consentait à renoncer à laya. Le point capital est la supramentalisation de l'être qui est l'intention du Divin dans l'évolution sur la terre et ne peut manquer de se produire; la descente ou l'incarnation n'est qu'un moyen de l'amener à se produire. Votre énonciation devient donc erronée parce qu'elle est incomplète.
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Mais les védântin mâyâvâdiques n'avaient pas une perception claire de ces choses (surmental, supramental, etc.) parce qu'au plus haut degré, ils vivaient dans le mental supérieur spiritualisé, et pour le reste ne pouvaient rien recevoir même du surmental — ils ne pouvaient y entrer que par un profond samâdhi (suṣupti). Prajnâ et Îshwara étaient pour eux le Seigneur du suṣupti.
II
 
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Dans notre yoga le Nirvana est le commencement de la Vérité plus haute, car c'est le passage de l'Ignorance à la Vérité plus haute. L'Ignorance doit être éteinte pour que la Vérité puisse se manifester.
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Je ne crois pas l'avoir écrit, mais j'ai dit un jour que les âmes qui sont entrées dans le Nirvana peuvent (non pas “doivent”) revenir pour achever la courbe ascendante plus vaste. J'ai écrit quelque part — je crois — que pour mon yoga (on peut aussi ajouter, dans l'ordre naturel et complet de la manifestation) l'expérience du Nirvana ne peut être qu'un stade ou un passage vers la complète réalisation. J'ai dit aussi qu'il y a beaucoup de portes à passer pour entrer dans la réalisation de l'Absolu (Parabrahman), et que le Nirvana est l'une de ces portes, mais en aucune manière la seule. Vous vous souvenez peut-être de la parole de Râmakrishna, selon laquelle le jîvakôti peut monter l'escalier, mais non pas revenir en arrière, alors que l'îshwarakôti peut monter et descendre à volonté. S'il en est ainsi, les jîvakôti peuvent être ceux qui ne décrivent que la courbe qui va de la Matière à travers le Mental jusqu'au Brahman silencieux, et les îshwarakôti sont ceux qui atteignent la Réalité intégrale, et peuvent par conséquent combiner la Montée avec la Descente, et contenir les “deux bouts” de l'existence dans leur seul être.
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La réalisation de ce yoga n'est pas inférieure, mais supérieure au Nirvana ou au Nirvikalpa Samâdhi.
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Si vraiment Bouddha combattait et niait toutes les conceptions védântiques du Moi, alors il ne peut plus être vrai que Bouddha s'abstenait de toutes spéculations métaphysiques ou de toutes déclarations définies quant à la nature de l'ultime Réalité. L'opinion que vous vous faites de sa conception du Nirvana semble coïncider avec l'interprétation mahâyâniste et sa conception du Permanent, dhruvam, à laquelle il pourrait être objecté que c'est un développement tardif comme la conception nihiliste contraire du Shoûnyam. Ce que Bouddha enseignait très certainement, c'est que le monde est un non-Moi, et que l'individu n'a pas d'existence réelle puisque ce qui existe dans le monde est un courant de conscience impermanente de moment en moment et que la personne individuelle est fictivement constituée d'un paquet de saṃskāra et peut être dissoute quand se dissout le paquet. Cela est conforme à la vision védântique moniste qu'il n'y a pas de véritable individu séparé. En ce qui concerne les autres visions védântiques du Moi unique, impersonnel, universel et transcendant, il ne semble pas que Bouddha ait fait aucune déclaration distincte et indubitable sur des questions abstraites et métaphysiques; mais si le monde ou tout dans le monde est non-Moi, anātman, il ne peut plus y avoir place pour un Moi universel; mais tout au plus seulement pour un Être réel transcendant. Sa conception du Nirvana était quelque chose qui transcendait l'univers, mais il n'a pas défini ce que c'était parce qu'il ne s'intéressait pas aux spéculations métaphysiques abstraites sur la Réalité; il pensait certainement qu'elles n'étaient ni nécessaires ni pertinentes et que s'y adonner pouvait détourner du véritable objectif. Son explication des choses était psychologique et non métaphysique et ses méthodes étaient toutes psychologiques — briser les fausses associations de conscience qui entraînent la continuité du désir et de la souffrance, et ainsi se débarrasser du courant des naissances et des morts dans un monde purement phénoménal (et non irréel); la méthode de vie par laquelle cette libération pouvait être effectuée était aussi une méthode psychologique, l'octuple sentier développant la compréhension juste et l'action juste. Son objet était pragmatique et sévèrement pratique et telles étaient aussi ses méthodes; les spéculations métaphysiques ne feraient qu'éloigner le mental de la seule chose nécessaire.
Quant à l'attitude du Bouddha à l'égard de la vie, je ne vois pas comment le “service de l'humanité” ou un idéal quelconque d'amélioration de l'existence dans le monde peut avoir fait partie de son but, puisque passer de la vie à la transcendance était son objectif. Son octuple sentier était le moyen d'y parvenir et non un but en soi ni d'ailleurs en aucune manière un but. Évidemment si la compréhension juste et l'action juste devenaient la règle commune de vie, il y aurait une grande amélioration dans le monde, mais pour le dessein de Bouddha ce ne pouvait être qu'un résultat fortuit et non une partie de son objectif central. “Bouddha insistait sur la nécessité de servir l'humanité; son idéal était de réaliser une conscience d'éternité intérieure et d'être ensuite une source d'influence et d'action rayonnantes”, dites-vous. Mais où et quand Bouddha a-t-il dit ces choses, utilisé ces termes ou exprimé ces idées? Le “service de l'humanité” semble être une conception très moderne et européenne; elle me rappelle certaines interprétations européennes selon lesquelles la Guîtâ n'enseignerait rien d'autre que l'accomplissement désintéressé du devoir et où la seule i idée de la Guîtâ serait le service. L'accent exclusif ou exagérée sur l'humanité est aussi européen. Le bouddhisme mahâyâniste mettait Il l'accent sur la compassion, la sympathie pour tous, vasudhaiva kuṭumbakam, tout comme la Guîtâ parle du sentiment d'unité avec tous et de la préoccupation de leur bien-être, sarvabhūta hite ratāḥ, mais cela ne signifie pas l'humanité seule, mais tous les êtres et vasudhā signifie toute la vie terrestre. Existe-t-il des paroles du Bouddha qui permettraient de dire que l'objectif ou l'un des objectifs de l'accession au Nirvana est de devenir une source d'influence et d'action rayonnantes? La conscience de l'éternité intérieure peut parvenir à ce résultat, mais pouvons-nous vraiment dire i que tel était:sait l'idéal du Bouddha, l'objectif qu'il avait en vue ou pour lequel il est venu?
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Il n'y a pas de raison d'omettre le passage sur les bouddhisme. Il expose un aspect de l'enseignement bouddhique peu connu ou habituellement oublié, car la plupart ramènent cet enseignement au Nirvana (shoûnyavâda) et à un humanitarisme spirituel. La difficulté est que les interprétations modernes du bouddhisme ont mis l'accent sur ces aspects et toutes mes restrictions étaient formulées en raison de ces interprétations et de cette insistance partiale. Je connais bien entendu les tendances opposées du Mahâyâna et du culte japonais d'Amitâbha Bouddha qui est un culte de la bhakti. On dit même maintenant de Shankara que sa doctrine avait un autre aspect — mais ses fidèles en ont fait un apôtre exclusif de la Grande Illusion, de l'infériorité de la bhakti, de l'inutilité du karma — jagan mithyā.
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Bouddha, il faut se le rappeler, a toujours refusé de discuter de ce qui existe au-delà du monde. D'après le peu qu'il en a dit il semblerait qu'il était conscient d'un Permanent au-delà équivalant au Para Brahman védântique, mais qu'il n'était pas disposé à le décrire. La négation de tout au-delà du monde, sauf un état négatif de Nirvana, est un enseignement ultérieur, non celui du Bouddha.
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Le Nirvana bouddhiste et le môksha de l'adwaïtin sont la même chose. Ils correspondent à une réalisation dans laquelle on ne se sent plus soi-même en tant qu'individu portant un certain nom et revêtant une certaine forme, mais en tant que Moi infini, étemel, sans espace (même dans l'espace), sans temps (même dans le temps). Notez que l'on peut parfaitement agir dans cet état et qu'il peut être atteint autrement qu'en samâdhi.
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Le Nirvana du Bouddha est le même que le Nirvana du Brahman dont parle la Guîtâ. Mais la Guîtâ le décrit comme le Nirvana dans le Brahman, alors que Bouddha préférait ne lui donner aucun nom ou ne rien dire de ce en quoi réside le Nirvana. Certaines écoles bouddhistes plus tardives l'ont décrit comme Shoûnya, l'équivalent du Tao chinois, décrit comme le Rien qui est toutes choses.
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Il y a toutes sortes de bouddhismes et l'espèce entièrement nihiliste n'en est qu'une variété. La plupart des bouddhismes reconnaissent un Permanent au-delà du royaume du Karma et des samskâra. Même le Shoûnya des shoûnyapanthî est décrit, à la manière du Tao de Lao Tseu, comme un Rien qui est Tout. Ainsi, comme il admet un état supérieur “au-dessus du mental” que l'on essaie d'atteindre par une discipline puissante de la conscience, on peut le qualifier de spiritualité.
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À propos de l'Un (des bouddhistes) il y a différentes versions. Je viens de lire quelque part que l'Un bouddhiste est un Superbouddha d'où viennent tout les Bouddha — mais cela me semble être un rabâchage du bouddhisme en termes védântiques né dans un mental moderne. Le Permanent du bouddhisme a toujours été considéré comme Supracosmique et Ineffable — c'est pourquoi Bouddha n'a jamais essayé d'expliquer ce que c'était; car logiquement, comment peut-on parler de l'Ineffable? Cela n'a en réalitérien à voir avec le Cosmos qui est fait de samskâra et de karma.
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Les impressions ressenties à l'approche de l'Infini ou en y pénétrant ne sont pas toujours tout à faut semblables; elles dépendent beaucoup de la manière dont le mental s'en approche. Il est ressenti d'abord par certalins comme un infini au-dessus, par d'autres comme un infimi tout autour dans lequel le mental disparaît (en tant qu'éneîrgie) en perdant ses limites. Certains sentent non l'absorptiom de l'énergie mentale dans l'infini, mais une chute enitièrement inactive, d'autres le sentent comme un manque oui une disparition de l'énergie dans la pure Existence. Certains ressentent d'abord l'infini comme une vaste existence dans laquelle tout sombre ou disparaît, d'autres, comme vous le diécrivez, comme un océan infini de Lumière au-dessus, d'autres comme un océan infini de Pouvoir au-dessus. Si certaines éccoles de bouddhistes le sentent dans leurs expériences commie un Shoûnya sans limites, les védântistes, au contraire, levoient comme une Existence-en-Soi positive, sans traits et absolue. Sans aucun doute, les diverses expériences ont été ériigées en philosophies diverses, chacune donnant sa conception comme définitive; mais derrière chaque conception il y avait une de ces expériences. Ce que vous décrivez coimme une substance mentale complètement vidée, dépourvue d'énergie ou de lumière, complètement inerte, est l'état de paix neutre et de tranquillité vide qui est ou peut être un stade de la libération. Mais il peut ensuite se sentir rempli d'existence infinie, de conscience (portant en elle de l'énergie) et finalement d'Ânanda.
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Ce passage4 dans Thé Yoga and Ils Objects est écrit du point de vue du mental spiritualisé approchant la suprême Vérité directement, sans passer par le supramental ni disparaître en lui. Le mental se spiritualisé en se dépouillant de toutes ses activités et formations propres et en réduisant tout à une pure Existence, sad ātman, d'où procèdent toutes choses et toutes activités, et qui soutient tout. Quand il veut aller encore plus loin, il nie encore davantage et arrive à un asat, qui est la négation de toute cette existence et cependant quelque chose d'inconcevable au mental, à la parole ou à une expérience délimitée. C'est le silencieux Inconnaissable, le Tourîya ou Absolu sans traits et sans relations des védântin monistes, le Shoûnyam des bouddhistes nihilistes, le Tao ou le Rien omniprésent et transcendant des Chinois, le Permanent indéfinissable et ineffable du Mahâyâna. Bien des mystiques chrétiens parlent aussi de la nécessité d'une ignorance complète afin de recevoir l'expérience suprême et parlent aussi de l'Obscurité divine — ils veulent parler du dépouillement de toute connaissance mentale, faisant du mental une page blanche et l'englobant dans le Non-Manifeste, le param avyaktam. Tout cela est la façon dont le mental approche le Suprême — car au-delà de avyaktam, tamasaḥ parastāt, est le Suprême, le Pouroushôttama de la Guîtâ, le Para Pourousha des Oupanishad. C'est ādityavarṇa par opposition à l'obscurité du Non-Manifeste; c'est une métaphore, mais pas seulement une métaphore, car c'est aussi un symbole, un symbole vu visuellement par la sūkṣma dṛṣṭi, la vision subtile, et pas seulement un symbole, mais, pourrait-on dire, un fait d'expérience spirituelle. Le soleil dans le yoga est le symbole du supramental et le supramental est le premier pouvoir du Suprême qu'on rencontre à la frontière où cesse l'expérience du mental spiritualisé et où la Conscience divine non modifiée ouvre le domaine de la Nature suprême, parā prakṛti. C'est de cette Lumière que les mystiques védiques ont aperçu une lueur, et c'est l'opposé de l'obscurité intermédiaire des mystiques chrétiens, car le supramental est tout lumière et non obscurité. Pour le mental le Suprême est avyaktāt param avyaktam, mais si nous suivons la ligne qui mène au supramental, nous avançons à travers une affirmation croissante plutôt qu'une croissante négation.
Dans le yoga la lumière est toujours vue par l'œil intérieur, ou même par l'œil extérieur, mais il y a beaucoup de lumières; toutes ne sont pas la Lumière suprême, param jyotiḥ, toutes n'en viennent pas.
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L'univers n'est qu'une manifestation partielle et Brahman à sa base est le Sat. Mais il y a aussi ce qui n'est pas manifesté, qui est au-delà de la manifestation, et qui n'est pas contenu dans la base de la manifestation. Les bouddhistes et d'autres en ont déduit que Asat est la chose ultime.
Une autre signification serait que Sat = l'Étemel et Asat = le Temporaire et l'Irréel.
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Le sentiment du Moi comme un vaste Vide plein de paix, une libération de l'existence telle que nous la connaissons, est un sentiment que l'on peut toujours avoir, bouddhiste ou non. C'est l'aspect négatif du Nirvana — il est assez naturel que le mental, s'il suit son mouvement négatif de retrait, ait d'abord cela, et si vous en prenez possession et refusez d'aller plus loin, satisfait de cette Non-Existence libérée, alors naturellement vous philosopherez comme les bouddhistes que Shoûnya est la vérité étemelle. Lao Tseu est plus perspicace quand il en parle comme du Rien qui est Tout. Beaucoup ont bien sûr d'abord l'expérience positive de l'Âtman, non pas comme un vide mais comme une Existence pure et sans relation comme les adwaïtin (Shankara), ou comme l'Existant unique.
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Ceux qui ont l'expérience du Nirvana ont l'impression de ne pas avoir d'existence du tout. Dans le Nirvana bouddhiste ils ont l'impression qu'il n'y a rien du tout, sinon un zéro infini sans forme. Dans le Nirvana de l'Adwaïta on sent seulement une Vaste Existence unique, aucun être séparé ne peut être discerné nulle part. Il y a évidemment des formes mais ce ne sont que des formes, non des êtres séparés. Le Mental est silencieux, la pensée a cessé — ni désirs, ni passions, ni mouvements vitaux. Il y a une conscience, mais seulement une conscience sans forme, élémentaire et sans limites. Le corps bouge et agit, mais le sens du corps est absent. Parfois il n'y a que la conscience de la pure existence, parfois seulement la pure conscience, parfois tout ce qui existe n'est qu'un Ânanda sans trêve et sans limites. Que tout le reste soit dissous ou seulement voilé est un point discutable, mais en tout cas dans cette expérience c'est comme si tout était dissous.
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L'ego et sa continuité, disent les bouddhistes, sont une illusion, résultat du flot continu des énergies et des idées dans un courant déterminé. Il n'y a pas véritable formation d'un ego. Quant à la libération, il est légitime de se libérer de duḥkha, etc. — c'est un flot douloureux d'énergies et pour se libérer de la douleur ils doivent briser leur continuité. Tout cela est très bien, mais comment tout a-t-il commencé, pourquoi cela devrait-il finir, et comment quiconque peut-il profiter de la libération, puisqu'il n'y a personne, mais seulement une masse d'idée et d'action — ce sont là d'insolubles mystères. Mais n'y a-t-il pas aussi la même difficulté chez les mâyâvâdin, puisqu'il n'y a pas réellement de Jîva, mais seulement Brahman et que Brahman est par nature libre et détaché à jamais? Alors comment l'absurde affaire de Maya a-t-elle commencé d'exister, et qui est libéré? C'est pourquoi les anciens sages avaient fini par dire: “Nul n'est lié, nul n'est libéré, nul ne cherche à être libre. ” Tout cela était une erreur (une erreur un peu longuette cependant). Les bouddhistes, je pense, pourraient en dire autant.
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Selon Bouddha et Shankara la libération est le laya de l'individu dans quelque Permanence transcendante qui n'est pas individualisée — donc logiquement une croyance en l'âme individuelle doit empêcher la libération, alors que le sens de la misère du monde conduit à tenter de s'échapper.
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L'expression “passer au-delà”5 montre qu'ils veulent parler d'une évolution non sur la terre, mais quelque part au-delà, Dieu sait où. Dans ce cas le Nirvana serait un endroit ou un monde sur le chemin d'autres mondes et l'âme évoluerait d'un monde à un autre — par exemple de la terre au Nirvana et du Nirvana à quelque Au-delà du Nirvana. C'est une idée entièrement européenne et il est très peu vraisemblable que les bouddhistes y aient cru. L'idée indienne était que l'évolution a lieu ici et que même les Dieux, s'ils veulent aller au-delà de leur divinité et obtenir la libération, doivent descendre sur terre à cette fin. Ce sont les spiritualistes occidentaux et autres qui pensent que la naissance sur la terre est une étape d'un progrès partant d'un lieu inférieur à la terre, et qu'après être né sur terre, on n'y retourne pas, mais on va vers un autre monde et on y demeure jusqu'à ce que l'on puisse progresser vers d'autres mondes meilleurs et ainsi de suite... Également, cet “ordre social perfectionné sur terre” n'est certainement pas une idée bouddhiste, les Bouddha n'y ont jamais songé — leur préoccupation était d'aider les hommes à aller vers le Nirvana, non vers un ordre social perfectionné ici même. Tout cela est en totale contradiction avec le bouddhisme.
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Le Nirvana ne peut pas être à la fois la fin du Sentier sans rien à explorer au-delà, et en même temps rien d'autre qu'un lieu de repos ou plutôt le début d'un Sentier supérieur où tout reste encore à explorer... La synthèse serait que c'est la fin du Sentier inférieur à travers la Nature inférieure et le commencement de l'évolution supérieure. Dans ce cas cela s'accorderait exactement avec l'enseignement de notre yoga.
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En quoi cet Absolu6 est-il différent de l'Absolu du Védânta? ou cette émancipation différente de la moukti védântique? S'il en était ainsi, il n'y aurait jamais eu toutes ces querelles entre écoles bouddhistes et védântiques. Ce doit être une version “dernier cri” du bouddhisme ou alors c'est un développement tardif dans lequel le bouddhisme s'est réduit à l'Adwaïta.
Mais cette Évolution supérieure est-elle une idée bouddhiste ou seulement une version européenne de ce que pourrait être le Nirvana?
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TIl n'y a pas de différence entre cette description7 et ce qu'on entend par l'âme, sauf que c'est appelé “impersonnel” — mais évidemment ici le terme “impersonnel”est utilisé par opposition à la chose qui dépend du nom, du corps et de la forme, et qui est appelée personnalité. Les Européens particulièrement, mais aussi les gens qui n'ont pas d'idées philosophiques, prendraient facilement cette personnalité extérieure pour l'âme et alors ils refuseraient de qualifier d'âme une entité innée et sans fin. Considèrent-ils cette entité comme un esprit ou un moi — ātman? Mais la difficulté est que les anciens bouddhistes rejetaient aussi la conception de Vâtman. Ainsi nous restons complètement désorientés. Le bouddhisme nihiliste enseigne de façon simple et compréhensible qu'il n'y a pas d'âme, mais seulement une masse de samskâra qui continuent ou un flot de samskâra qui se renouvellent sans dissolution (Nirvana). Mais cette histoire Mahâyâniste semble une sorte de compromis vague et sommaire avec le Védânta.
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Il y a des éléments de la plupart des yoga qui entrent dans celui-ci, aussi n'est-il pas surprenant d'y trouver aussi quelque chose du bouddhisme. Mais des notions comme celle d'une Évolution supérieure au-delà du Nirvana ne me semblent pas authentiquement bouddhistes, à moins évidemment que quelque rejeton du bouddhisme ait donné naissance à quelque chose que l'auteur interpréterait comme tel. Je n'en ai jamais entendu parler comme d'un des enseignements du Bouddha — il parlait toujours du Nirvana comme du but et refusait de discuter ce qu'il pourrait être sur un plan métaphysique.
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La philosophie jaïn se préoccupe de la perfection individuelle. Notre effort est tout différent. Nous voulons faire descendre le supramental en tant que faculté nouvelle. Tout comme le mental est maintenant un état permanent de conscience dans l'humanité, nous voulons créer une espèce où le supramental sera un état de conscience permanent.
III
 
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II n'est pas exact de dire que la Guîtâ fournit toute la base du message de Sri Aurobindo, car la Guîtâ semble admettre que la cessation des naissances dans le monde est le but ultime, ou du moins l'ultime sommet du yoga; elle n'avance pas l'idée d'évolution spirituelle, ni l'idée de plans supérieurs de la Conscience-de-Vérité supramentale et du moyen de transformer complètement la vie terrestre en faisant descendre cette conscience.
L'idée du supramental, Conscience-de-Vérité, est présente dans le Rig-véda selon l'interprétation qu'en donne Sri Aurobindo, et dans un ou deux passages des Oupanishad, mais dans les Oupanishad elle n'est qu'en germe dans la conception de l'être de connaissance, vijnañāmaya puruṣa, débordant l'être mental, vital et physique; dans le Rig-véda l'idée n'est présente qu'en tant que principe, elle n'est pas développée et son principe a même disparu de la tradition hindoue.
Ce sont ces choses, parmi d'autres, qui constituent la nouveauté du message de Sri Aurobindo, par comparaison avec la tradition hindoue — l'idée que le monde n'est ni une création de Maya, ni seulement un jeu, līlā, du Divin, ni un cycle de naissances dans l'ignorance d'où nous devons nous échapper, mais un champ de manifestation où se déroule une évolution progressive de l'âme et de la nature humaine dans la Matière, et, de la Matière, à travers la Vie et le Mental, vers ce qui est au-delà du Mental, jusqu'à atteindre la complète révélation du Satchidânanda dans la vie. C'est cela qui est la base du yoga et qui donne à la vie un sens nouveau.
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98
Il n'y a pas véritablement de contradiction; les deux passages8 indiquent deux mouvements différents du yoga dans le système de la Guîtâ, la consécration9 complète étant le mouvement culminant. On doit d'abord conquérir la nature inférieure, délivrer le moi involué dans le mouvement inférieur au moyen du Moi supérieur qui s'élève dans la nature divine; en même temps on offre toutes ses actions, y compris l'action intérieure du yoga, en sacrifice au Pouroushôttama, au Divin transcendant et immanent. Quand on s'est élevé dans le Moi supérieur, qu'on a la connaissance et qu'on est libre, on accomplit la consécration complète au Divin, abandonnant tous les autres dharma, vivant seulement par la Conscience divine, la Volonté et la Force divines, l'Ânanda divin.
Notre yoga n'est pas identique au yoga de la Guîtâ bien qu'il en contienne tout l'essentiel. Dans notre yoga le point de départ est l'idée, la volonté, l'aspiration de la consécration complète; mais en même temps nous devons rejeter la nature inférieure, en délivrer notre conscience, délivrer le moi involué dans la nature inférieure par le moi qui s'élève vers la liberté dans la nature supérieure. Si nous ne faisons pas ce double mouvement, nous courons le danger de faire une consécration tamasique et par conséquent fausse, sans effort, sans tapas et par conséquent sans progrès; ou encore nous pouvons faire une consécration radjasique non au Divin mais à quelque idée ou image fausse du Divin fabriquée par nous, masque de notre ego radjasique ou de quelque chose de pire.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.
 
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99
Ce monde est, comme le décrit la Guîtâ, anityamasukham, tant que nous vivons dans la conscience actuelle du monde; ce n'est qu'en nous en détournant pour trouver le Divin et entrer dans la Conscience divine que nous pouvons, à travers le monde aussi, posséder l'Éternel.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.
 
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La langue de la Guîtâ dans bien des domaines semble parfois contradictoire parce qu'elle admet deux vérités apparemment opposées et essaie de les réconcilier. Elle admet comme une possibilité l'idéal qui consiste à quitter le saṃsāra pour entrer dans le Brahman; elle affirme aussi la possibilité de vivre libre dans le Divin (en Moi, dit-elle) et d'agir dans le monde comme Jîvanmoukta. C'est sur cette dernière solution qu'elle insiste le plus. Ainsi Râmakrishna place les “âmes divines” (îshwarakôti) — qui peuvent descendre l'échelle aussi bien que la monter — plus haut que les Jîva (Jîvakôti), qui, étant montés, n'ont pas la force de redescendre pour accomplir l'œuvre divine. La vérité complète est dans la conscience supramentale et dans le pouvoir de travailler à partir d'elle sur la vie et la Matière.
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La Guîtâ ne peut être décrite exclusivement comme un évangile d'amour. Ce qu'elle propose est un yoga de la connaissance, de la dévotion et des œuvres fondé sur une conscience spirituelle et sur la réalisation de l'unité avec le Divin et de l'unité de tous les êtres dans le Divin. La bhakti — dévotion et amour de Dieu comportant l'unité avec tous les êtres et l'amour pour tous les êtres — y tient une place élevée, mais toujours liée à la connaissance et aux œuvres.
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Mais notez bien que l'auteur ne voulait pas faire de la Guîtâ une allégorie — vous pouvez dire, si vous voulez, que maintenant nous devrions écarter l'ancien élément guerrier en l'interprétant comme s'il était une allégorie. La Guîtâ est un yoga, une vérité spirituelle appliquée à la vie extérieure et à l'action — mais ce peut être n'importe quelle action et pas nécessairement une action ressemblant à celle de h Guîtâ. Le principe de la conscience spirituelle appliquée à Faction doit être conservé — l'exemple particulier utilisé par laGuîtâ peut être traité comme quelque chose qui appartient au passé.
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La Guîtâ ne parle pas expressément de la Mère divine; elle parle toujours de consécration au Pouroushôttama — elle ne la mentionne que comme la Para Prakriti qui devient le Jîva, c'est-à-dire qui manifeste le Divin dans la multiplicité, à travers qui tous ces mondes sont créés par le Suprême, par l'intermédiaire de qui il descend lui-même comme Avatar. La Guîtâ suit la tradition védântique qui s'appuie entièrement sur l'aspect Îshwara du Divin et parle peu de la Mère divine parce que son objectif est de se retirer de la nature du monde et d'arriver à la réalisation suprême au-delà; la tradition tântrique s'appuie sur l'aspect Shakti ou Îshwarî et fait tout dépendre de la Mère divine parce que son objectif est de posséder et de dominer la nature du monde et d'arriver à travers celle-ci à la suprême réalisation. Notre yoga préconise les deux aspects; la consécration à la Mère divine est essentielle, car sans elle l'objectif du yoga ne peut être atteint.
A l'égard du Pouroushôttama la Mère divine est la Conscience divine suprême et le Pouvoir divin suprême au-dessus des mondes, Âdyâ Shakti; elle porte le Suprême en elle-même et manifeste le Divin dans les mondes à travers l'akshara et le kshara. À l'égard de l'akshara elle est la même Para Shakti tenant le Pourousha immobile en elle-même et se tenant aussi immobile en lui derrière toute création. À l'égard du kshara elle est l'Énergie cosmique mobile manifestant tous les êtres et toutes les forces.
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104
A ma connaissance il n'y a rien d'analogue à une conscience du Pouroushôttama que l'être humain pourrait atteindre ou réaliser pour lui-même, car dans la Guîtâ le Pouroushôttama est le Seigneur suprême, l'Être suprême qui est au-delà de l'Immuable et du Muable et contient à la fois l'Un et le Multiple. L'homme, dit la Guîtâ, peut atteindre la conscience brahmique, se réaliser comme une portion éternelle du Pouroushôttama et vivre dans le Pouroushôttama. La conscience du Pouroushôttama est la conscience de l'Être suprême et l'homme, par la perte de l'ego et la réalisation de son essence véritable, peut vivre en elle.
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105
Dans la pensée spirituelle de l'Inde, pendant la période des rishi et même avant, les éléments du Sâmkhya et du Védânta étaient toujours combinés. L'exposé du Sâmkhya sur la constitution de l'être (Pourousha, Prakriti, les éléments, indriya, bouddhi, etc.) étaient universellement acceptés et Kapila était mentionné partout avec vénération. Dans la Guîtâ il est cité parmi les grandes Vibhoûti; Krishna dit: “Je suis Kapila parmi les sages.”
IV
 
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Le Véda et le Védânta sont un côté de l'Unique Vérité; le Tantra, qui met l'accent sur la Shakti, en est un autre; notre yoga reprend tous les côtés de la Vérité, non dans les formes systématiques qui leur ont été données autrefois mais dans leur essence, et les porte jusqu'à leur signification la plus complète et la plus haute. Mais le Védânta traite plutôt des principes et de l'essentiel de la connaissance divine et par conséquent toute une partie de son expérience spirituelle a été reprise en bloc dans l'Ârya. Le Tantra traite davantage des formes, des procédés et des pouvoirs organisés — tout cela ne pouvait être repris tel quel, car le yoga intégral a besoin d'élaborer ses propres formes et ses propres procédés; mais l'ascension de la conscience à travers les centres et d'autres éléments de la connaissance tântrique sont là, derrière le processus de transformation auquel j'attache tant d'importance — et aussi la vérité que rien ne peut être fait si ce n'est à travers la force de la Mère.
Le processus de l'éveil de koundalinî s'élevant à travers les centres, ainsi que la purification des centres, est une connaissance tântrique. Dans notre yoga il n'y a pas de processus volontaire de purification et d'ouverture des centres, pas non plus d'ascension de la koundalinî par un processus fixe. Une autre méthode est utilisée, mais il y a tout de même une ascension de la conscience à partir des différents niveaux et à travers eux pour rejoindre la conscience supérieure au-dessus; il y a l'ouverture des centres et des plans (mental, vital, physique) que ces centres commandent; il y a aussi la descente qui est la clé principale de la transformation spirituelle. Par conséquent il y a, je l'ai dit, une connaissance tântrique derrière le processus de transformation dans notre yoga.
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Dans notre yoga il n'y a pas d'ouverture volontaire des chakra, ils s'ouvrent d'eux-mêmes par la descente de la Force. Dans la discipline tântrique ils s'ouvrent du bas vers le haut, le moûlâdhâra en premier; dans notre yoga ils s'ouvrent du haut vers le bas. Mais l'ascension de la force à partir du moûlâdhâra a bien lieu.
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108
Dans le Tantra les centres sont ouverts et koundalinî est éveillée par un processus spécial, son action ascendante est ressentie dans la colonne vertébrale. Dans notre yoga c'est une pression de la force au-dessus qui l'éveille et ouvre les centres. Il y a une ascension de la conscience qui monte jusqu'à ce qu'elle rejoigne la conscience supérieure audessus. Cela se répète (parfois, on sent aussi une descente) jusqu'à ce que tous les centres soient ouverts et que la conscience s'élève au-dessus du corps. À un stade ultérieur elle reste au-dessus et s'élargit pour devenir la conscience cosmique et le moi universel. Tel est le déroulement habituel, mais quelquefois le processus est plus rapide, et il y a une ouverture soudaine et définitive au-dessus.
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La montée et la descente de la Force dans notre yoga s'accomplissent à leur propre manière sans nécessairement reproduire les détails indiqués dans les livres tantriques. Beaucoup deviennent conscients des centres, mais d'autres sentent simplement la montée ou la descente d'une façon générale ou de niveau en niveau plutôt que de centre en centre, c'est-à-dire qu'ils sentent la Force descendre d'abord dans la tête, puis dans le cœur, puis au nombril et encore plus bas. Il n'est pas du tout nécessaire de devenir conscient des divinités dans les centres selon la description tântrique, mais certains sentent la Mère dans les différents centres. En cela notre sâdhanâ n'adhère pas à la connaissance donnée dans les livres, mais conserve seulement la vérité centrale qui est derrière et la réalise indépendamment sans aucune sujétion aux anciennes formes et aux anciens symboles. Les centres eux-mêmes ont une interprétation différente ici de celle qui est donnée dans les livres des tantriques.
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Oui, le but de notre yoga est d'établir un contact direct avec le Divin au-dessus et de faire descendre la Conscience divine d'en haut dans tous les centres. Les pouvoirs occultes qui appartiennent au plan mental, au plan vital et au plan physique subtil ne sont pas notre but. On peut avoir, chemin faisant, un contact avec diverses Forces et Personnalités divines, mais il n'est pas nécessaire de les établir dans les centres, bien que cela arrive parfois automatiquement (comme pour les quatre Personnalités de la Mère) pour un temps au cours de la sâdhanâ. Mais ce n'est pas la règle. Notre yoga se propose d'être plastique et de permettre toutes les opérations nécessaires du Pouvoir divin selon la nature, mais elles peuvent varier dans leurs détails avec chaque individu.
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L'occultisme est la connaissance et l'usage correct des forces cachées de la Nature.
Les forces occultes sont les forces qu'on ne peut connaître qu'en allant derrière le voile des phénomènes apparents — spécialement les forces dm plan physique subtil et du plan supraphysique.
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Habituellement, toutes les expériences plus intérieures et toutes les expériences psychologiques anormales sont appelées psychiques. J'emploie' le mot psychique pour l'âme, pour la distinguer du mental et du vital. Tous les mouvements, toutes les expériences die l'âme seraient, dans ce sens, qualifiées de psychiques, celles qui montent de l'être psychique ou le touchent directement; où le mental et le vital prédominent, l'expérience; serait qualifiée de psychologique (de surface ou occulte). “Spirituel” n'est pas nécessairement lié à l'Absolu. Évidemment l'expérience de l'Absolu est spirituelle. Tous les contacts avec le moi, la conscience supérieure, le Divin au-dessus sont spirituels. Il y en a d'autres qui ne peuvent pas être classés de façon aussi tranchée ou opposés Fun à l'autre.
La réalisation spirituelle est d'une importance primordiale et elle est indispensable. Je considère que le mieux serait d'obtenir le développement spirituel et psychique et de l'avoir avec une plénitude égale, savant de pénétrer dans les régions occultes. Ceux qui y pénètrent en premier lieu peuvent voir leur réalisation spirituelle fort retardée — d'autres sont pris au piège des labyrinthes de l'occulte et n'en sortent plus dans cette vie. Certains, sans aucun doute, peuvent poursuivre les deux ensemble, l'occulte et le spirituel, et les faire s'entraider; mais le processus que je suggère est celui qui offre le plus de sécurité.
Les facteurs dirigeants? pour nous doivent être l'esprit et l'être psychique unis au Divin — les lois et les phénomènes occultes doivent être comnus, mais seulement dans leur utilisation, non comme pprincipes directeurs. Le domaine occulte est vaste et compHiqué, et il n'est pas sans danger. Point n'est besoin de l'abandonner, mais il ne faudrait pas lui donner la première place.
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Une activité sur le plan astral, en contact avec les forces astrales, qui s'exerce en quittant le corps, n'est pas un but spirituel mais appartient au domaine de l'occultisme. Cela ne fait pas partie des buts du yoga. Le jeûne n'est pas non plus autorisé à l'Ashram, car sa pratique est souvent plus néfaste que salutaire à l'effort spirituel.
Ce but qui vous est suggéré semble faire partie d'une recherche de pouvoirs occultes; une recherche de ce genre est considérée avec réprobation par la plupart des maîtres spirituels de l'Inde, parce qu'elle appartient aux plans inférieurs et habituellement pousse le chercheur sur un sentier qui peut le conduire très loin du Divin. Particulièrement, un contact avec les forces et les êtres du plan astral (ou, comme nous l'appelons, du plan vital) s'accompagne de grands dangers. Les êtres de ce plan sont souvent hostiles au but véritable de la vie spirituelle; ils établissent un contact avec le chercheur et lui offrent des pouvoirs et des expériences occultes dans le seul but qu'ils le conduisent hors du sentier spirituel, ou encore ils peuvent établir leur propre maîtrise sur lui ou prendre possession de lui pour leur propre dessein. Se présentant souvent comme des pouvoirs divins, ils égarent, donnent des suggestions et des impulsions déroutantes, et pervertissent la vie intérieure. Nombreux sont ceux qui, attirés par ces pouvoirs et ces êtres du plan vital, ont fini dans une chute spirituelle définitive ou dans une perversion et un désordre du mental et du physique. On vient inévitablement en contact avec le plan vital et on y entre dans l'expansion de conscience qui résulte d'une ouverture intérieure, mais on ne devrait jamais se mettre entre les mains de ces êtres ou de ces forces ni se laisser mener par leurs suggestions et leurs impulsions. C'est l'un des principaux dangers de la vie spirituelle et c'est une nécessité pour le chercheur d'être sur ses gardes s'il veut atteindre son but. Il est vrai que bien des pouvoirs supraphysiques ou supranormaux viennent avec l'expansion de la conscience dans le yoga; sortir de la conscience du corps, agir par des moyens subtils sur les plans supraphysiques, etc., sont pour le yogi des activités naturelles. Mais ces pouvoirs ne sont pas recherchés, ils viennent naturellement, et ils n'ont pas un caractère astral. Ils doivent aussi être utilisés d'une manière purement spirituelle, c'est-àdire par la Volonté divine et la Force divine, comme un instrument, mais jamais comme un intermédiaire des forces et des êtres du plan vital. Rechercher leur aide pour obtenir ces pouvoirs est une grande erreur.
Le jeûne prolongé peut mener à une excitation de l'être nerveux qui apporte souvent de vives imaginations et des hallucinations que l'on prend pour de vraies expériences; ce jeûne est souvent suggéré par les Entités vitales parce qu'il met la conscience dans un état de déséquilibre qui favorise leurs desseins. Il est par conséquent déconseillé ici. La règle à suivre est celle qui est indiquée par la Guîtâ: “le yoga n'est pas pour celui qui mange trop, ni pour celui qui ne mange pas” — un usage modéré de la nourriture, suffisant pour entretenir la santé et la force du corps.
Il n'y a pas en Inde de fraternités du genre de celle que vous décrivez. Il y a des yogi qui cherchent à acquérir et à pratiquer des pouvoirs occultes, mais individuellement, en apprenant d'un Maître individuel. Les associations occultes, les loges, les fraternités se groupant dans ce but, telles qu'elles sont décrites par les occultistes européens, sont inconnues en Asie.
En ce qui concerne le secret, une certaine discrétion, un certain silence sur les instructions du gourou et ses propres expériences est toujours recommandable, mais un secret absolu ou un mystère de ces choses ne l'est pas. Une fois le gourou choisi, rien ne doit lui être dissimulé. La suggestion de secret absolu est souvent une astuce des pouvoirs astraux pour empêcher la recherche de la lumière et du secours.
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Toutes vos, “expériences” se fondent sur la nature vitale et le mental quii y est relié; travailler sur cette base n'apporte aucune sécurité contre le mensonge et l'erreur fondamentale. Aucune accumulation de pouvoirs (petits ou grands) ne peut être une stécurité contre les divagations qui éloignent de la Vérité; et si vous permettez à l'orgueil, à l'arrogance et à l'ostentation du pouvoir de se glisser en vous et de vous tenir, vous tomberez sûrement dans l'erreur et au pouvoir de la Maya et de l'avidyâ radjasique. Notre objectif n'est pas d'obtenir dies pouvoirs, mais de monter vers la Conscience-deVérité divine et de faire descendre cette Vérité dans les parties inftérieures. Avec la Vérité tous les pouvoirs nécessaires vierndront, non comme appartenant en propre à soi, mais comme appartenant au Divin. Le contact avec la Vérité croît non ai travers le mental radjasique et l'affirmation de soi du vital, miais à travers la pureté psychique et la consécration.
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Les aṣṭasiddhi tels qu'elles sont obtenues dans le yoga ordinaire sont des pouvoirs vitaux ou, comme dans le Râdja-yoga, des siddhi mentales. Habituellement elles sont incertaines dans leur application et précaires, selon que sont maintenues ou non les conditions grâce auxquelles elles ont été obtenuies.
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L'expressiion “Nature physique” ne signifie pas le corps seul, mais induit la transformation de toute la nature physicomentale, 'vitale et matérielle — non en leur imposant des siddhi, maits en créant une nouvelle nature physique qui sera la demeune de l'être supramental dans la nouvelle évolution. À ma comnaissance, cela n'a jamais été obtenu par aucun procédé hatha-yoguique ou autre. Le pouvoir occulte mental ou vital peut seulement apporter des siddhi du plan supérieur dans la viie individuelle — comme le sannyâsin qui pouvait absorber sans dommage n'importe quel poison jusqu'au jour où il oublia d'observer les conditions de la siddhi. Le pouvoir supramental que j'envisage n'opérera pas par une influence sur le physique en lui donnant des facultés anormales, mais le pénétrera et s'y infusera en le changeant tout entier en un physique supramental. Je n'ai pas appris cette idée dans les Véda ou les Oupanishad, et je ne sais pas s'ils contiennent quelque chose de ce genre. La connaissance que j'ai reçue au sujet du supramental était directe, elle ne m'a pas été donnée indirectement; ce n'est qu'ensuite que j'ai trouvé certaines confirmations dans les révélations des Oupanishad et des Véda.
11.09.1936
 
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Beaucoup de yogi de l'école védântique suivent à la fois la voie des siddhi et celle de l'émancipation finale — ils diraient, je suppose, qu'ils prennent les siddhi sur le chemin du Nirvana. L'harmonisation est dans le supramental — la Vérité divine est à la fois statique et dynamique, retrait et extinction de l'Ignorance, ré-création dans la Connaissance divine.
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Je n'ai pas lu le Yoga-Vāśiṣṭha, mais d'après ce que j'en ai lu, ce livre a dû être écrit par quelqu'un qui possédait une remarquable connaiance occulte.
V
 
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Il me semble que ces differences d'appréciation viennent du mental qui met l'accent sur un côté ou un autre de l'approche du Divin ou exalte un aspect de la réalisation plutôt qu'un autre. Quand l'approche se fait par le cœur, par l'Amour et la bhakti, le plus haut sommet est dans un Ânanda transcendant, une Felicite ou une Beatitude ineffable d'union avec le Divin par l'Amour. L'école de Chaïtanya insistait particulièrement ou même uniquement sur ce chemin et en faisait la réalité totale de la conscience de Krishna. Mais l'Ânanda transcendant est là, à l'origine et à la fin de toute existence, et cette voie n'est pas et ne peut pas être la seule qui y mène. On peut y parvenir par la conscience de Vasoudéva, qui est une approche plus vaste et plus mentalisée — comme dans la méthode de la Guîtâ où la connaissance, les œuvres, la bhakti sont centrées sur Krishna, l'Un, le Suprême, le Tout, et parviennent par la conscience cosmique à la transcendance lumineuse. Il y a aussi la voie décrite par la Taïttirîya Oupanishad, l'évangile de Béatitude du Védânta. Ce sont certainement des méthodes plus larges, car elles soulèvent l'existence entière dans toutes ses parties et toutes ses manières d'être vers le Divin. Si elles sont moins intenses au départ, d'un mouvement plus vaste et plus lent, il n'y a aucune raison de supposer qu'elles sont moins intenses sur leurs sommets d'arrivée. Toutes arrivent à la même transcendance, soit dans un large mouvement récoltant tout ce qui est spirituel en nous pour l'y porter en une vaste sublimation, soit dans la seule ascension intense d'une partie, une seule exaltation laissant tout le reste de côté. Mais qui dira laquelle est la plus profonde? L'amour concentré a une profondeur qui lui est propre et ne peut être mesurée; la sagesse concentrée a une profondeur plus vaste, mais on ne peut pas dire qu'elle soit plus profonde.
Les valeurs cosmiques ne sont que des reflets de la vérité de la Transcendance dans une vérité moindre d'expérience temporelle qui est séparative et voit diversement mille aspects de l'Un. Quand on s'élève par le mental ou une partie quelconque de l'être manifesté, n'importe lequel de ces aspects, ou plusieurs d'entre eux, peuvent de plus en plus se sublimer et tendre vers une intensité transcendantale suprême, et quel que soit l'aspect dont la conscience mentale spiritualisée a ainsi l'expérience, elle déclare que c'est la chose suprême. Mais quand on va au-delà du mental, tout tend non seulement à se sublimer mais à se fondre jusqu'à ce que les aspects séparés retrouvent leur unité originelle, indivisible dans l'absolu du tout fait un. Le mental peut concevoir et avoir l'expérience de l'existence sans la conscience de l'Ânanda, et l'expression suprême de cela est l'inconscience attribuée à la Matière. Il peut aussi concevoir l'Ânanda ou l'Amour comme un principe séparé; il sent même la conscience et l'existence se perdre dans une transe ou une pâmoison d'Amour ou d'Ânanda. De même la personne limitée se perd dans la Personne inimitable, l'amant dans l'Aimé suprême, ou encore le personnel dans l'Impersonnel — l'amant se sent immergé, se perd dans la réalité transcendante de l'Amour et de l'Ânanda. Le personnel et l'impersonnel sont eux-mêmes posés en principe et expérimentés par le mental comme des réalités séparées, et l'une ou l'autre est déclarée et vue comme suprême, si bien que le personnel peut avoir laya dans l'Impersonnel ou, au contraire, l'impersonnel disparaît dans la réalité absolue de la Personne suprême et divine — l'impersonnel, de ce point de vue, n'est qu'un attribut ou un pouvoir du Divin personnel. Mais au sommet de l'expérience spirituelle passant au-delà du mental, on commence à sentir la fusion de toutes ces choses en une. Conscience, Existence, Ânanda retournent à leur indivisible unité, Satchidânanda. Le personnel et l'impersonnel deviennent irrévocablement un, si bien que poser l'un en principe contre l'autre apparaît comme un acte d'ignorance. Cette tendance à l'unification est la base de la conscience et de l'expérience supramentales; à des fins cosmiques ou créatrices le supramental peut mettre en avant un aspect de façon plus marquée quand cela est nécessaire, mais il perçoit tout le reste qui est derrière ou y est contenu, et n'admet dans sa vision aucune séparation ou opposition nulle part. Pour cette raison une création supramentale serait une harmonie multiple, non un processus séparatif fragmentant ou analysant l'Un en parties et juxtaposant de nouveau ces parties, ou les plaçant en contradiction les unes avec les autres pour arriver à une harmonie, ou encore excluant l'une d'elles ou toutes pour réaliser l'Un indivisible.
Vous parlez de l'école vishnouïte qui met en relief les félicités personnelles, comme dans la classification des bhâva, et vous dites que ce sont des sentiments brefs et rapides qui manquent d'immensité ou d'ampleur. Sans aucun doute, quand la conscience limitée les ressent tout d'abord et tels qu'elle les ressent dans son fonctionnement et son mouvement ordinaires; mais s'il en est ainsi, ce n'est que parce que l'émotionnel dans l'homme, avec cet instrument corporel imparfait, agit surtout par pulsions d'intensité quand il veut sublimer ces sentiments et ne peut en maintenir ni la continuité, ni l'extension, ni le paroxysme sublimé. Mais à mesure que l'individu devient cosmique (l'universalisation de l'individu, sans qu'il perde son individualité supérieure en tant que centre divin, est un des processus qui mènent vers la Vérité supramentale), cette incapacité commence à disparaître. La vérité derrière le dāsya ou madhura ou tout autre bhâva ou fusion de bhâva devient un état continu vaste et ample — si, par hasard, ils perdent quelque chose de leurs intensités les plus brèves par cette extension, ils la retrouvent au centuple dans le mouvement de l'individu universalisé vers la Transcendance. Il y a une expérience d'élargissement permanent qui prend tous les éléments de la réalisation spirituelle, et dans ce processus d'ascension et de transformation ils deviennent quelque chose de différent et de plus grand que ce qu'ils étaient, et de plus en plus, par la sublimation, ils prennent leur place dans le cosmique spirituel, puis dans la totalité de la transcendance qui embrasse tout.
La divergence de vues entre Shankara et Râmânoudja d'une part, et de l'autre Chaïtanya, au sujet de Krishna, naît de la tournure prise par leurs expériences. Krishna n'était qu'un aspect de Vishnou pour les premiers parce que cette forme extatique d'amour et de bhakti qui s'était associée à Krishna n'était pas pour eux le tout. La Guîtâ, comme Chaïtanya, mais d'un point de vue différent, regardait Krishna comme le Divin même. Pour Chaïtanya il était l'Amour et l'Ânanda, et comme l'Amour et l'Ânanda étaient pour lui l'expérience transcendante la plus haute, Krishna aussi devait être le Suprême. Pour l'auteur de la Guîtâ, Krishna était la source de la Connaissance et du Pouvoir aussi bien que de l'Amour, le Destructeur, le Protecteur, le Créateur en un, donc Vishnou n'était nécessairement qu'un aspect de ce Divin universel. Dans le Mahâbhârata, Krishna se présente en effet comme une incarnation de Vishnou, mais pour interpréter cela on peut admettre que c'est à travers l'apparence extérieure de son aspect Vishnou qu'il s'est manifesté; car il est logique que la Divinité plus grande puisse se manifester plus tard que les autres, si nous considérons que la manifestation est progressive — tout comme Vishnou est dans le Véda un Indra plus jeune, Oupendra, mais rattrape son aîné et par la suite prend place au-dessus de lui dans la Trimoûrtî.
Je n'ai pas grand-chose à dire sur la conception vishnouïte de la forme de Krishna. La forme est le moyen fondamental de la manifestation et sans elle on peut dire que la manifestation, quelle qu'elle soit, n'est pas complète. Même si le Sans-Forme précède logiquement la Forme, il n'est cependant pas illogique de présumer que dans le Sans-Forme, la Forme est inhérente et existe déjà dans un état mystique latent, autrement comment pourrait-elle se manifester? Car n'importe quel autre procédé consisterait en une création du non-existant, non en une manifestation. S'il en est ainsi, il serait également logique de présumer qu'il y a une forme étemelle de Krishna, un corps spirituel. Pour la plus haute Réalité, c'est sans aucun doute l'Existence Absolue, mais n'est-ce que cela? L'Existence Absolue, en tant qu'abstraction, peut tout exclure d'elle-même et se résoudre en une sorte de zéro très positif; mais l'Existence Absolue en tant que Réalité, qui définira et dira ce qu'elle est ou ce qu'elle n'est pas dans ses profondeurs inconcevables, son Mystère sans limites? Le Mental ne peut ordinairement concevoir l'Existence absolue que comme une négation de ses propres concepts spatiaux, temporels ou autres. Mais il ne peut pas dire ce qui est à la base de la manifestation ou ce qu'est la manifestation ou pourquoi une quelconque manifestation sort de ce zéro positif et les vishnouïte, nous devons nous en souvenir, n'admettent pas cette conception comme la vérité absolue et originelle du Divin. Il n'est donc pas strictement impossible que ce que nous concevons et percevons comme une forme spatiale puisse correspondre à quelque pouvoir de l'Absolu sans espace. Tout ce que je dis là n'est pas un exposé définitif de la Vérité, je remarque seulement que la position du vishnouïte, sur son propre terrain, est loin d'être logiquement ou métaphysiquement insoutenable.
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Les vishnouïte acceptent le monde comme une lîlâ, mais la vraie lîlâ est ailleurs dans l'étemel Brindâvan. Toutes les religions qui croient en une Divinité personnelle acceptent l'univers comme une réalité, une lîlâ ou une création faite par la Volonté de Dieu mais temporaire et non éternelle. Le but est l'état étemel au-dessus.
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L'idée d'un royaume des cieux temporaire sur terre est contenue dans les Pourâna et conçue par certains saints ou poètes vishnouïte; mais c'est une idée dévotionnelle, aucune base philosophique n'est donnée à cette espérance. Je pense que chez les tantriques le fait de surmonter les imperfections est un accomplissement individuel et non collectif.
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Vous décrivez la vie humaine riche et égoïste que vous auriez pu mener et vous dites: “Ce n'était pas une vie tout à fait pitoyable, vous l'admettrez. ” Sur le papier elle paraît même très brillante et satisfaisante, telle que vous la décrivez. Mais elle ne contient pas de satisfaction réelle ou définitive, sauf pour ceux qui sont trop vulgaires ou superficiels pour chercher autre chose, et même eux ne sont pas réellement satisfaits ou heureux — et à la fin, cela devient fatigant et insipide. Le chagrin et la maladie, le conflit et la lutte, les déceptions, les désillusions et toutes sortes de souffrances humaines viennent et font voler en éclats son brillant — et ensuite, c'est la décrépitude et la mort. C'est la vie vitale égoïste telle que l'homme l'a rencontrée à travers les âges, et pourtant c'est ce que regrette cette partie de votre vital. Comment ne voyez-vous pas, quand vous insistez tant sur les avantages d'une conscience purement humaine, que son signe distinctif est la souffrance? Quand le vital résiste au changement de la conscience humaine en conscience divine, ce qu'il défend est son droit au chagrin, à la souffrance et à tout le reste, agrémenté et soulagé sans aucun doute par quelques plaisirs et satisfactions du vital ou du mental, mais très partiellement soulagé par eux et seulement pour un temps. Dans votre cas, vous commenciez réellement à être blasé et c'est pourquoi vous vous en êtes détourné. Il y avait certainement les joies de l'intellect et de la création artistique, mais un homme ne peut pas n'être qu'un artiste; c'est la partie vitale inférieure, extérieure, très humaine, dans presque tous, qui est la plus revendicatrice et la plus insistante. Mais qu'est-ce qui était insatisfait en vous? C'était l'âme à l'intérieur, tout d'abord, et à travers elle le mental supérieur et le vital supérieur. Pourquoi donc reprocher au Divin de vous avoir fourvoyé quand elle vous a tourné vers le yoga et vous a amené ici? Elle ne faisait que répondre à l'exigence de votre propre être intérieur et des parties supérieures de votre nature. Si vous avez tant de difficultés et que vous devenez agité, c'est parce que vous êtes encore divisé et que quelque chose dans votre vital inférieur regrette encore ce qu'il a perdu, ou demande comme prix de son adhésion ou comme compensation — prix qui doit lui être payé immédiatement — quelque chose de similaire et d'équivalent dans la vie spirituelle. Il refuse de croire qu'il y a une compensation plus grande, une vie vitale plus large qui l'attend, quelque chose de positif où il n'y aura pas l'ancienne inadaptation, l'ancienne agitation et l'insatisfaction finale. La sottise n'est pas dans la direction divine, mais dans la résistance irrationnelle et obstinée de cette partie confuse et obscure de vous-même à ce qu'exige non seulement ce yoga-ci mais tout yoga — comme conditions nécessaires à la satisfaction de l'aspiration de votre propre âme et de votre nature supérieure.
La conscience vitale “humaine” s'est toujours déplacée entre ces deux pôles, la vie vitale ordinaire qui ne peut satisfaire et le retrait de cette vie dans la solution ascétique. L'Inde s'est donnée pleinement à ce mouvement de bascule, l'Europe commence une fois de plus, après un essai complet, à sentir l'échec de la vie vitale purement égoïste. Les yoga traditionnels — auxquels vous faites appel — se fondent sur le mouvement entre ces deux pôles. D'un côté se tiennent Shankara et Bouddha, et la plupart vont, sinon par la même voie, du moins dans la même direction; de l'autre on trouve les voies vishnouïte ou tantriques qui essaient de combiner l'ascétisme avec quelque sublimation de l'impulsion vitale. Et où finissent ces voies? Elles retombent à l'autre pôle, à l'invasion vitale et même à la corruption et à la perte de leur esprit. A l'heure actuelle le mouvement général tend vers un essai de réconciliation, et vous avez quelquefois fait allusion à certains des protagonistes de cette tentative et demandé mon opinion sur eux, la vôtre étant défavorable. Mais ces hommes ne sont pas de simples charlatans, et s'il y a quelque chose de mauvais en eux (ce sur quoi je ne me prononce pas), ce ne peut être que parce qu'ils sont incapables de résister à l'attirance magnétique de ce pôle inférieur de la nature de désir vitale et égoïste. Et s'ils sont incapables de résister, c'est parce qu'ils n'ont pas encore trouvé la vraie force qui non seulement neutralisera cette attirance et empêchera la détérioration et la chute, mais transformera, utilisera, satisfera leur propre vérité plus profonde, au lieu de détruire ou de jeter au loin la force de vie et l'incarnation dans la Matière; car cela ne peut être fait que par le pouvoir supramental et nul autre.
Vous invoquez les traditions tantriques-vishnouïte: Chaïtanya, Râmprasâd, Râmakrishna. Je les connais un peu et si je n'ai pas essayé de les répéter, c'est parce que je n'y trouve pas la solution, la réconciliation que je cherche. Votre citation de Râmprasâd ne m'aide pas le moins du monde — et elle n'appuie pas non plus votre thèse. Râmprasâd ne parle pas d'un Divin incarné, mais d'un Divin sans corps et invisible — sauf pour l'expérience intérieure en une forme subtile. Quand il parle de maintenir sa plainte ou son procès contre la Mère jusqu'à ce qu'elle le hisse sur ses genoux, il ne parle d'aucun contact vital ou physique, mais d'une expérience psychique intérieure; précisément il proteste contre le fait qu'elle le laisse dans la nature vitale et physique extérieure et insiste pour qu'elle l'amène jusqu'au plan psycho-spirituel en union spirituelle avec Elle.
Tout cela est très bien et très beau, mais ce n'est pas suffisant; l'union doit en effet être réalisée d'abord dans l'expérience psycho-spirituelle intérieure, parce que sans cela rien de solide ni de durable ne peut être fait; mais il doit y avoir aussi une réalisation du Divin dans la conscience extérieure et la vie, dans le plan vital et dans le plan physique selon leurs propres modes essentiels. C'est ce que vous demandez, sans que votre mental le comprenne ou comprenne comment cela doit être fait, et c'est ce que je demande aussi; seulement je vois la nécessité d'une transformation vitale, tandis que vous semblez penser et exiger que ce soit fait sans aucune transformation radicale, en laissant le vital tel qu'il est. Au début, avant de découvrir le secret du supramental, j'ai essayé moi-même de chercher la réconciliation à travers une association de la conscience spirituelle avec le vital, mais mon expérience et toutes les expériences montrent que cela ne mène à rien de définitif et de final — cela finit comme cela avait commencé, à mi-chemin entre les deux pôles de la nature humaine. Une association n'est pas suffisante, une transformation est indispensable.
La tradition de la bhakti vishnouïte tardive est une tentative de sublimer les impulsions vitales par l'amour en tournant l'amour humain vers le Divin. Ce fut un effort puisssant et intense qui a amené bien des expériences riches et belles; mais sa faiblesse résidait précisément dans le fait qu'elle ne restait valable que comme expérience intérieure tournée vers le Divin intérieur, et s'arrêtait à ce point. Le prema de Chaïtanya n'était qu'un amour divin psychique accompagné d'une forte manifestation vitale sublimée. Mais dès l'instant où le vishnouïsme, avant ou après lui, tenta une plus grande extériorisation, nous savons ce qui est arrivé — une détérioration vitale, beaucoup de corruption et le déclin. Vous ne pouvez pas invoquer l'exemple de Chaïtanya par opposition à l'amour psychique ou divin; son amour n'était pas seulement humain et vital; dans son essence, sinon dans sa forme, c'était bien le premier pas de la transformation que nous demandons aux sâdhak: rendre leur amour psychique et utiliser le vital non pour lui-même, mais comme une expression de la réalisation de l'âme. C'est le premier pas, et peutêtre pour certains est-il suffisant, car nous ne demandons pas à tout le monde de devenir supramental; mais pour toute manifestation complète sur le plan physique le supramental est indispensable.
Dans la tradition vishnouïte tardive, la sâdhanâ prend la forme d'une application au Divin de l'amour vital humain, dans toutes ses tendances principales; viraha, abhimāna, même la séparation complète (comme le départ de Krishna à Mathourâ) deviennent des éléments essentiels de ce yoga. Mais tout cela n'était compris — dans la sâdhanâ elle-même, non dans les poèmes vishnouïte — que comme un passage dont l'issue est milana ou union complète; mais l'accent mis par certains sur les éléments indisciplinés paraîtrait presque faire de la lutte, de la séparation, de abhimāna, le procédé tout entier, sinon le but même de ce genre de prema-yoga. Ici encore cette méthode n'était appliquée qu'au Divin intérieur, non à un Divin incarné physiquement, et se référait à certains états, à certaines réactions de la conscience intérieure dans sa recherche du Divin. Dans les relations avec la Manifestation divine incarnée, ou, puis-je ajouter, dans les relations du disciple avec le gourou, des choses de ce genre peuvent se produire comme un résultat de l'imperfection humaine, mais elles ne font pas partie de la théorie de ces relations. Je ne pense pas qu'elles formaient une partie normale et autorisée des relations entre le bhakta et le gourou. Au contraire, la relation du disciple envers le gourou dans le gourouvâda est toujours censée être faite d'adoration, de respect, d'une confiance complète et heureuse, d'une acceptation inconditionnelle de la direction. L'application de relations vitales inchangées envers le Divin incamé peut conduire et a conduit à des mouvements qui n'induisent pas au progrès dans le yoga.
Le yoga de Râmakrishna n'était de même tourné que vers une réalisation intérieure du Divin intérieur — rien de moins; mais aussi rien de plus. Je crois que la phrase de Râmakrishna sur la revendication du sâdhak à l'égard du Divin pour qui il a tout sacrifié était l'affirmation d'une revendication intérieure et non extérieure, sur le Divin intérieur plutôt que sur un Divin incamé physiquement; c'était l'exigence d'une union spirituelle complète, l'amant de Dieu cherchant le Divin, mais le Divin se donnant aussi lui-même et venant à la rencontre de l'amant de Dieu. Il ne peut y avoir aucune objection à cela; tous les chercheurs du Divin ont cette exigence; mais quant aux modalités de la rencontre divine, cela ne nous mène pas beaucoup plus loin. En tout cas mon objectif est une réalisation sur le plan physique et je ne puis me contenter de répéter Râmakrishna. Je crois aussi me souvenir qu'il s'est longtemps retiré en lui-même, il n'a pas passé toute sa vie avec ses disciples. Il a eu d'abord sa siddhi alors qu'il était retiré, et quand il est sorti et a reçu des gens, eh bien, en quelques années son corps en a été usé. À cela, je suppose qu'il n'avait aucune objection; car il a même énoncé une théorie, alors que Keshav Chandra était mourant, selon laquelle l'expérience spirituelle doit user le corps. Mais en même temps, quand on lui demandait pourquoi il avait une maladie de la gorge, il répondait que c'étaient les péchés que ses disciples jetaient sur lui et qu'il était obligé d'avaler. Ne me satisfaisant pas, comme lui, d'une libération seulement intérieure, je ne puis accepter ces idées ou ces résultats, car cela ne me paraît pas être une rencontre réussie avec le Divin et les sâdhak sur le plan physique, quel qu'en soit le succès pour la vie intérieure. Krishna a fait de grandes choses et était très clairement une manifestation du Divin. Mais je me rappelle un passage du Mahâbhârata dans lequel il se plaint de la vie agitée que ses disciples et ses adorateurs lui font mener, de leurs exigences constantes, de leurs reproches, de ce qu'ils jettent sur lui leur nature vitale non régénérée. Et dans la Guîtâ il parle de ce monde humain comme d'une affaire transitoire et douloureuse et, en dépit de son évangile d'action divine, semble presque admettre que le quitter est après tout la meilleure solution. Les traditions du passé sont très grandes à leur place, dans le passé, mais je ne vois pas pourquoi nous devrions nous contenter de les répéter sans aller plus loin. Dans le développement spirituel de la conscience sur la terre, le grand passé doit être suivi d'un plus grand avenir.
Il y a un écueil que vous semblez tous ignorer complètement — les difficultés de l'incarnation physique et de la réalisation divine sur le plan physique. Pour la plupart il semble n'y avoir qu'une simple alternative: ou le Divin descend avec son plein pouvoir et la chose est faite, pas de difficultés, pas de conditions nécessaires, pas de loi ni de procédé, rien que le miracle et la magie; ou alors, eh bien, cela ne peut pas être le Divin. De nouveau vous insistez tous (ou presque tous) pour que le Divin devienne humain, reste dans la conscience humaine, et vous protestez contre toute tentative de rendre l'humain divin. D'autre part il s'élève une clameur de déception, d'étonnement, de défiance, peut-être d'indignation s'il y a des difficultés humaines — s'il y a une tension dans le corps, une lutte incertaine contre les forces adverses, des obstacles, des retards, des maladies, et quelqueuns commencent à dire: “Oh, il n'y a rien de divin là-dedans! ” comme si l'on pouvait rester vitalement et physiquement dans la conscience humaine individuelle non transformée, en contact inchangé avec elle, satisfaire ses exigences, et pourtant être à l'abri, en toutes circonstances et en toutes conditions, de la tension, de la lutte et de la maladie. Si je veux diviniser la conscience humaine, faire descendre le supramental, la Conscience-de-Vérité, la Lumière, la Force dans le physique pour le transformer, y créer une plus grande plénitude de Vérité, de Lumière, de Pouvoir, de Béatitude et d'Amour, la réponse est répulsion, peur ou mauvaise volonté — ou bien on doute que ce soit possible. D'un côté on exige que la maladie et le reste soient impossibles, de l'autre on rejette violemment la seule condition par laquelle ils pourraient devenir impossibles. Je sais que c'est là l'incohérence naturelle du mental vital humain qui veut à la fois deux choses incohérentes et incompatibles; c'est bien la raison pour laquelle il est nécessaire de transformer l'humain et de mettre à la place quelque chose d'un peu plus lumineux.
Mais le Divin est-il donc quelque chose de si terrible, de si horrible et de si repoussant que l'idée de son entrée dans le physique, de sa divinisation de l'humain crée ce recul, ce refus, cette révolte ou cette peur? Je puis comprendre que le vital non régénéré attaché à ses propres souffrances mesquines et plaisirs mesquins, au drame bref et ignorant de la vie, recule devant ce qui va le changer. Mais pourquoi un amant de Dieu, un chercheur de Dieu, un sâdhak craindrait-il la divinisation de la conscience? Pourquoi refuserait-il de devenir un en nature avec ce qu'il cherche, pourquoi reculerait-il devant sādṛśya-mukti Derrière cette peur, il y a habituellement deux causes: d'abord, le vital sent qu'il devra cesser d'être obscur, grossier, bourbeux, égoïste, non raffiné (spirituellement), plein de désirs stimulants, de petits plaisirs, de souffrances intéressantes (car il recule même devant l'Ânanda qui remplacera cela); ensuite le mental a une idée vague et ignorante, due, je suppose, à la tradition ascétique, que la nature divine est quelque chose de froid, de nu, de vide, d'austère, de lointain, sans les glorieuses richesses de la vie humaine vitale égoïste. Comme s'il n'y avait pas un vital divin, et comme si ce vital divin n'était pas lui-même d'une plénitude infinie — et comme si, quand il aura le moyen de se manifester, il ne devait pas rendre la vie infiniment plus pleine de beauté, d'amour, de rayonnement, de chaleur, d'intensité et de passion divine, et de capacité de béatitude, que l'actuelle vitalité impotente, souffrante, petitement et temporairement excitée et vite fatiguée de la création humaine encore si imparfaite.
Mais vous direz que ce n'est pas devant le Divin que vous reculez, vous l'acceptez plutôt et vous le demandez (pourvu qu'il ne soit pas trop divin) mais vous vous élevez contre le supramental — grandiose, lointain, incompréhensible, inaccessible, une sorte d'austère Nirâkâr Brahman. Le supramental ainsi décrit est un épouvantail créé par cette partie de votre mental vital pour se faire peur à lui-même et justifier son attitude. Derrière cette description étrange il semble y avoir l'idée que le supramental est une nouvelle version du Parabrahman védântique, sans traits et incommunicable, vaste, grandiose, froid, vide, lointain, dévastateur, écrasant; ce n'est pas exactement cela, évidemment, puisqu'il peut descendre, mais dans la pratique, c'est aussi mauvais! Il est curieux que vous admettiez votre ignorance de ce que le supramental peut être, et que cependant, quand vous êtes dans cette humeur, non seulement vous vous prononciez catégoriquement sur ce qu'il est, mais rejetiez passionnément mon expérience comme si elle n'avait aucune valeur pratique, ou n'avait aucune valeur pour qui que ce soit sauf moi! Je n'ai pas insisté, je n'ai répondu qu'occasionnellement parce que je ne vous demande pas d'être dès maintenant non-humain et divin, moins encore d'être supramental, mais comme vous revenez toujours à ce point quand vous êtes en butte à ces attaques et que vous en faites le pivot ou du moins l'étai principal — de votre dépression, je suis obligé de répondre. Le supramental n'est pas grandiose, lointain, froid et austère; ce n'est pas quelque chose qui est opposé à une pleine manifestation vitale et physique, ou incompatible avec elle; au contraire, il porte en lui la seule possibilité de plénitude totale de la force vitale et de la vie physique sur terre. C'est parce qu'il est ainsi, parce qu'il m'a été ainsi révélé, et pour aucune autre raison, que je l'ai poursuivi et que j'ai persévéré jusqu'à ce que je vienne en contact avec lui et que je sois capable de faire descendre quelque chose de son pouvoir et de son influence. Je me soucie de la terre, non des mondes au-delà pour ce qu'ils sont; c'est une réalisation terrestre que je cherche et non une fuite sur de lointains sommets. Tous les autres yoga considèrent cette vie comme une illusion ou une phase transitoire; seul le yoga supramental la considère comme une chose créée par le Divin pour une manifestation progressive et s'assigne pour but la plénitude de la vie et du corps. Le supramental est simplement la Conscience-de-Vérité et ce qu'il apporte dans sa descente est la pleine vérité de la vie, la pleine vérité de la conscience dans la matière. Il faut véritablement s'élever à de hauts sommets pour l'atteindre, mais plus on s'élève, plus bas on peut le faire descendre. Sans aucun doute, la vie et le corps ne sont pas voués à demeurer ignorants, imparfaits, impuissants tels qu'ils sont maintenant; mais pourquoi un changement vers un pouvoir de vie, un pouvoir corporel plus complet, serait-il considéré comme quelque chose de lointain, de froid et d'indésirable? L'Ânanda suprême dont le corps et la vie sont maintenant capables est une brève excitation du mental vital, des nerfs ou des cellules qui est limitée, imparfaite et passe rapidement; avec le changement supramental toutes les cellules, les nerfs, les forces vitales, les forces mentales incamées peuvent se remplir d'un Ânanda centuplé, capable d'une intensité de béatitude indescriptible et qui ne disparaît pas nécessairement. Comme c'est lointain, repoussant et indésirable! L'amour supramental entraîne une unité intense d'âme à âme, de mental à mental, de vie à vie, et une submersion entière de la conscience du corps par l'expérience physique de l'unité, la présence de l'Aimé dans toutes les parties, toutes les cellules du corps. Est-ce lointain et grandiose, mais indésirable? Avec le changement supramental, la chose même sur laquelle vous insistez, l'éventualité d'une libre rencontre physique du Divin incarné avec le sâdhak sans conflit de forces et sans réactions indésirables devient possible, sûre et libre. Cela est aussi, je suppose, lointain et indésirable? Je pourrais continuer — sur des pages et des pages, mais c'est assez pour le moment.
14.01.1932
 
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La base du supramental est un calme absolu et quelle que soit l'intensité de l'Amour divin qu'il contient, elle ne trouble pas le calme mais l'approfondit. Chaïtanya n'a pas eu l'expérience du supramental, mais celle de l'Amour et de l'Ânanda apportés d'en haut dans le vital — le vital répond par une passion et une exultation extrêmes d'amour pour Dieu et d'Ânanda qui ont pour résultat ces vicāra. Chaïtanya proclamait cette suprématie de l'expérience de Râdhâ parce que l'Ânanda est plus élevé que les expériences du mental spirituel, l'Ânanda étant, selon les Oupanishad, le plan suprême d'expérience. Mais c'est une conclusion logique qui ne peut être acceptée entièrement — il faut traverser le supramental pour atteindre l'Ânanda le plus élevé, et dans le supramental il y a une unification et une harmonisation de tous les Pouvoirs divins (Connaissance, etc., autant qu'Amour et Ânanda). Divers sâdhak proclament qu'un aspect ou l'autre est le plus élevé, mais c'est cette union de tous les aspects qui doit être la véritable base de la plus haute réalisation et de la plus haute expérience.
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Il n'est pas nécessaire de répéter les formes passées (du Bhakti-yoga). Faire sortir la bhakti de l'être psychique et lui donner les formes, quelles qu'elles soient, qui viennent naturellement est la manière juste pour notre sâdhanâ.
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125
Je ne suis pas le seul à avoir fait ce que les rishi védiques n'ont pas fait. Chaïtanya et d'autres ont élaboré une intensité de bhakti qui est absente des Véda et on pourrait donner bien d'autres exemples. Pourquoi le passé serait-il la limite de l'expérience spirituelle?
19.12.1934
 
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126
Ma foi, je ne crois pas que l'espèce nouvelle puisse être créée par la logique ni conformément à la logique, ni qu'aucune espèce l'ait jamais été. Mais pourquoi l'idée de la création d'une espèce nouvelle serait-elle illogique?... Quant aux prophètes du passé, ils ne me dérangent pas. S'il est troublant de dépasser les expériences des prophètes et des sages d'autrefois, chaque nouveau prophète ou nouveau sage à son tour a fait cette chose troublante — Bouddha, Shankara, Chaïtanya, etc. — tous ont commis cette mauvaise action. Autrement, à quoi servirait-il qu'ils lancent de nouvelles philosophies, de nouvelles religions, de nouvelles écoles de yoga? Si simplement ils vérifiaient et répétaient benoîtement la vie et les expériences des prophètes et des sages passés sans apporter au monde quelque nouveauté, pourquoi tout ce remue-ménage et cette agitation? Bien sûr, direz-vous, ils expliquaient simplement la vieille vérité mais de la manière juste — mais cela voudrait dire que personne avant eux ne l'avait bien expliquée ni comprise, ce qui est encore “donner un démenti, etc. ” Ou peut-être direz-vous encore que tous les nouveaux sages (qui n'étaient pas, de leur temps, parmi les bien-aimés de X)... comme Shankara, Râmânoudja, Mâdhava, répétaient simplement chacun la même sainte histoire que tous les prophètes et sages d'autrefois avaient répétée avant eux avec une même infatigable monotonie. Bien, bien! mais alors pourquoi la répéter de telle façon que chacun “donne un démenti” aux autres? Vraiment, cette absolue vénération du passé est merveilleuse et terrible! Après tout, le Divin est infini et le déroulement de la Vérité est peut-être aussi un processus infini, ou du moins, s'il n'en est pas tout à fait ainsi, il doit laisser quelque place aux découvertes nouvelles, aux formules nouvelles, peut-être même aux réalisations nouvelles; ce n'est pas exactement comme une coquille de noix dont le contenu aurait été pilé et vidé une fois pour toutes par le premier prophète ou le premier sage, tandis que les autres doivent religieusement piler la même noix à perpétuité, chacun tremblant affreusement de donner un démenti aux prophètes et sages “passés”.
08.10.1935
 
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127
Le Seigneur Krishna n'a jamais entrepris aucune transformation physique, il ne faut donc s'attendre à rien de tel dans son cas.
Ni Bouddha, ni Shankara, ni Râmakrishna n'ont eu l'idée de transformer le corps. Leur but était la moukti spirituelle et rien d'autre. Krishna a enseigné à Ardjouna la libération dans les œuvres, mais il n'a jamais parlé d'aucune transformation physique.
Je ne sais pas si nous pouvons admettre cela (Youdhishthira entrant au royaume des cieux dans l'Himalaya avec son corps mortel) comme un fait historique. Svarga n'est pas quelque part dans les Himalayas, c'est un autre monde dans un autre plan de conscience et de substance. Quel que soit le sens de cette histoire, elle n'a par conséquent rien à voir avec la question de la transformation physique sur terre.
01.06.1937
 
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Râmakrishna lui-même n'a jamais pensé à la transformation et ne l'a jamais tentée. Tout ce qu'il voulait était la bhakti pour la Mère et avec cela il recevait toute la connaissance qu'elle lui donnait et faisait tout ce qu'elle lui faisait faire. Il fut intuitif et psychique dès le début et le devint seulement de plus en plus à mesure qu'il avançait. Il n'avait pas besoin de la transformation que nous cherchons; car bien qu'il ait parlé de l'homme divin (īśvarakoṭi) descendant les degrés autant qu'il les monte, il n'avait pas l'idée d'une conscience nouvelle, ni d'une espèce nouvelle, ni de la manifestation divine dans la nature de notre terre.
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Ce qui est arrivé à Chaïtanya ou à Râmalingam, quelle que soit la transformation physique qu'ils aient accomplie, n'a pas de rapport avec le but de la supramentalisation du corps. Leur nouveau corps était soit non physique, soit physique subtil, et n'était pas adapté à la vie sur terre. Sinon ils n'auraient pas disparu. Le but de la supramentalisation est un corps apte à incarner et à exprimer la conscience physique sur terre aussi longtemps que l'on reste dans la vie physique. C'est une étape dans l'évolution spirituelle sur terre, non une étape dans le passage vers un monde supraphysique. La supramentalisation est la partie la plus difficile du changement auquel est arrivé le yoga supramental, et tout dépend si un changement suffisant peut être accompli actuellement dans la conscience pour qu'une telle étape soit possible, mais la nature de l'étape est différente de celle qui est le but des autres yoga. Ces discussions n'ont donc pas beaucoup d'utilité — il faut d'abord supramentaliser suffisamment la conscience mentale, vitale et physique en général — ensuite on peut penser à la supramentalisation du corps. La transformation psychique et spirituelle doit venir d'abord, ensuite seulement il sera pratique ou utile de discuter de la supramentalisation de tout l'être jusqu'au corps.
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Par réalisation divine il faut entendre la réalisation spirituelle — la réalisation du Moi, Bhagavân ou Brahman sur le plan spirituel-mental ou encore sur le plan surmental. C'est une chose (au moins la réalisation spirituelle mentale) que des milliers de gens ont accomplie. C'est donc évidemment plus facile à accomplir que le supramental. De plus, personne ne peut avoir la réalisation supramentale sans avoir eu la réalisation spirituelle... Il est vrai qu'aucune ne peut être acquise d'une manière efficace sans que tout l'être soit tourné dans sa direction — à moins qu'il y ait un enthousiasme réel et très sérieux et une réalité dynamique dans la sâdhanâ. Il est vrai que je veux le supramental, non pour moi-même, mais pour la terre et les âmes nées sur la terre, et certainement je ne puis en conséquence protester si quelqu'un veut le supramental. Mais il y a les conditions. Il doit vouloir d'abord la Volonté divine et la consécration de l'âme et la réalisation spirituelle (par les œuvres, la bhakti, la connaissance, la perfection de soi) sur le chemin...
La sincérité centrale est la première chose, et elle doit être suffisante pour que l'aspiration soit entretenue — une sincérité totale est nécessaire pour que l'aspiration atteigne la plénitude...
Il y a différents états (avasthā) de la Conscience divine. Il y a aussi différents états de transformation. Il y a d'abord la transformation psychique, dans laquelle tout est en contact avec le Divin à travers la conscience psychique individuelle. Ensuite il y a la transformation spirituelle dans laquelle tout est plongé dans le Divin dans la conscience cosmique. En troisième lieu, il y a la transformation supramentale dans laquelle tout devient supramentalisé dans la divine conscience gnostique. Ce n'est qu'avec cette dernière transformation que peut commencer la transformation complète du mental, de la vie et du corps — dans le sens que j'attache au mot “complète”.
Vous vous trompez sur deux points. D'abord, l'effort qui tend à cet accomplissement n'est pas nouveau et certains yogi l'ont fait, je crois — mais pas comme je le veux. Ils l'ont fait comme une siddhi personnelle entretenue par la yogasiddhi — pas comme un dharma de la nature. Deuxièmement, la transformation supramentale n'est pas la même chose que la transformation mentale-spirituelle. C'est un changement de mental, de vie et de corps que ni le mental ni le spirituel surmental ne peuvent atteindre. Tous ceux que vous citez étaient spirituels, mais de différentes manières. Le mental de Krishna, par exemple, était surmentalisé, celui de Râmakrishna était intuitif, celui de Chaïtanya psychique-spirituel, celui du Bouddha était un mental supérieur illuminé. Pour B.G., je ne sais pas — il semble avoir été brillant mais plutôt chaotique. Tout cela est différent du supramental. Maintenant prenez le mental des Paramahamsa. On dit que leur vital se conduit soit comme un enfant (Râmakrishna) ou comme un fou, ou comme un démon ou comme quelque chose d'inerte (cf. Jada Bhârata). Bon, il n'y a rien de supramental dans tout cela.
On peut être un bon instrument du Divin dans n'importe quelle transformation. La question qui se pose est, un instrument pour quoi?
 
 
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Le Paramahamsa est un degré particulier de réalisation, d'autres sont censés être inférieurs ou supérieurs. Je n'ai aucune objection à leur égard s'ils sont à leur place. Mais je dois vous rappeler que dans mon yoga tous les mouvements vitaux doivent venir sous l'influence du psychique et du calme, de la connaissance, de la paix spirituels. S'ils sont en conflit avec le psychique ou la maîtrise spirituelle, ils bouleversent l'équilibre et empêchent que se constitue la base de la transformation. Si le déséquilibre est bon dans d'autres sentiers, c'est l'affaire de ceux qui les suivent. Cela ne convient pas au mien.
 
 
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À ma connaissance, à part quelques grands yogi, personne n'a vraiment changé sa nature extérieure. Dans tous les Ashram j'ai vu que les gens étaient comme les autres, à part une certaine maîtrise morale particulière à l'égard d'une certaine sorte d'action extérieure (nourriture, sexe, etc.), mais la nature générale était la nature humaine (comme dans l'histoire de Nârada et Janaka). C'est même une théorie des anciens yoga que le prārabdha karma et en conséquence, nécessairement, les éléments permanents du caractère extérieur ne changent pas — on obtient seulement la réalisation intérieure et on se sépare de lui, de sorte qu'il tombe à la mort comme un vêtement taché et laisse l'esprit libre d'entrer dans le Nirvana. Notre objectif est un changement spirituel, pas seulement une maîtrise éthique, mais ce changement ne peut venir que par un rejet spirituel intérieur d'abord, suivi d'une descente supramentale d'en haut.
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Je n'ai connaissance d'aucun rishi védique qui ait pris naissance à cette époque-ci. Selon les histoires pourâniques, il a dû y avoir beaucoup de rishi védiques qui étaient loin d'être jitendriya jitakrodha. Mais il y a aussi beaucoup de yogi qui se contentent d'avoir l'expérience intérieure du Moi mais laissent se produire des mouvements de nature radjasique ou tamasique à la surface, soutenant que ces mouvements tomberont avec le corps.
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Merveilleux! La réalisation du moi, qui inclut la libération de l'ego, la conscience de l'Un en tous, la transcendance établie et consommée hors de l'Ignorance universelle, la fixation de la conscience dans l'union avec le Suprême, l'Infini et Étemel, ne vaut pas la peine d'être accomplie ou recommandée à quiconque — ce n'est “pas un stade très difficile”!
Rien de nouveau! Pourquoi devrait-il y avoir quelque chose de nouveau? L'objet de la recherche spirituelle est de trouver ce qui est éternellement vrai, non ce qui est nouveau dans le Temps.
D'où avez-vous pris cette singulière attitude à l'égard des anciens yoga et des anciens yogi? La sagesse du Védânta et du Tantra est-elle une chose minime et sans importance? Les sâdhak de l'Ashram ont-ils donc atteint la réalisation du moi et sont-ils des Jîvanmoukta libérés, libres de l'ego et de l'ignorance? Sinon, pourquoi dites-vous alors “ce n'est pas une étape très difficile”, “leur but n'est pas élevé”, “est-ce un processus tellement long”?
J'ai dit que ce yoga était “nouveau” parce qu'il a pour but l'intégralité du Divin dans ce monde et pas seulement au-delà, et la réalisation supramentale. Mais comment cela justifie-t-il un mépris supérieur de la réalisation spirituelle qui est autant le but de notre yoga que de n'importe quel autre?
03.04.1936
 
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Dénigrer les anciens yoga comme une chose très facile, dénuée d'importance et de valeur, et dénigrer Bouddha, Yâjnavalkya et d'autres grandes figures spirituelles du passé, n'est-ce pas à première vue absurde?
 
 
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Pourquoi Mère aurait-elle une aversion pour le yoga de la Connaissance? La réalisation du moi et de l'être cosmique (sans laquelle la réalisation du moi est incomplète) sont des étapes essentielles de notre yoga; c'est la fin des autres yoga, mais c'est, pour ainsi dire, le début du nôtre, c'est-à-dire le point où commencent les réalisations caractéristiques qui lui sont propres.
VI
 
 
Par transformation je n'entends pas quelque changement de nature je ne veux pas dire, par exemple, sainteté, ou perfection éthique, ou siddhi yoguiques (comme celles des tantriques) ou corps transcendental (cinmaya). J'emploie le mot transformation dans un sens spécial, celui d'un changement de conscience radical, complet et d'une espèce particulière, conçu de manière à amener un pas en avant puissant et sûr dans l'évolution spirituelle de l'être, d'une qualité plus grande et plus haute, d'une envolée et d'une totalité plus grandes que ce qu'il est advenu quand l'être mental est apparu pour la première fois dans le monde animal vital et matériel. Si quoi que ce soit de moindre se produit, ou si au moins un véritable commencement ne se fait pas sur cette base, un progrès fondamental en direction de cet accomplissement, alors mon but n'est pas atteint. Une réalisation partielle, quelque chose de mélangé, de non définitif, ne satisfait pas ce que j'exige de la vie et du yoga.
La Lumière de réalisation n'est pas la même chose que la Descente. La réalisation par elle-même ne transforme pas nécessairement l'être dans sa totalité; elle peut apporter seulement une ouverture, ou une ascension, ou un élargissement de la conscience à son sommet de manière à réaliser quelque chose dans le Pourousha sans aucun changement radical dans la Prakriti. On peut avoir une certaine lumière de réalisation au sommet spirituel de la conscience, mais les parties au-dessous restent ce qu'elles étaient. J'en ai vu quantité d'exemples. Une descente de la lumière doit se produire non seulement dans le mental ou une partie du mental, mais dans tout l'être jusqu'au physique et au-dessous avant qu'une véritable transformation puisse avoir lieu. Une lumière dans le mental peut spiritualiser ou changer d'une autre façon le mental ou une partie du mental d'une manière ou d'une autre, mais elle ne change pas forcément la nature vitale; une lumière dans le vital peut purifier et élargir les mouvements vitaux, ou encore rendre l'être vital silencieux ou immobile, mais laisser le corps et la conscience physique tels quels, ou même les laisser inertes, ou troubler leur équilibre. Et la descente de la Lumière n'est pas suffisante, ce doit être la descente de la conscience supérieure tout entière, sa Paix, son Pouvoir, sa Connaissance, son Amour, son Ânanda. De plus, la descente peut suffire à libérer, mais non à rendre parfait, ou elle peut suffire à produire un grand changement dans l'être intérieur, alors que l'être extérieur demeure un instrument imparfait, maladroit, malade ou sans expression. Finalement, la transformation effectuée par la sâdhanâ ne peut pas être complète si elle n'est pas une supramentalisation de l'être. La psychicisation n'est pas suffisante, elle n'est qu'un début; la spiritualisation et la descente de la conscience supérieure n'est pas assez, ce n'est que le stade intermédiaire; pour l'accomplissement ultime, l'action de la Conscience supramentale et de la Force supramentale est nécessaire. L'individu peut fort bien se contenter de moins, mais ce n'est pas suffisant pour que la conscience terrestre entreprenne la marche en avant décisive qu'elle doit accomplir un jour ou l'autre.
Je n'ai jamais dit que mon yoga était quelque chose de tout neuf dans tous ses éléments. Je l'ai appelé le yoga intégral et cela signifie qu'il reprend l'essence des anciens yoga et beaucoup de leurs procédés — sa nouveauté réside dans son but, son point de vue et la totalité de sa méthode. Dans les premiers stades, dont je traite dans des livres comme “l'Enigme” ou les “Lumières”, ou dans le nouveau livre qui va être publié,10 il n'y a rien qui le distingue des anciens yoga sauf le but qui détermine son caractère global, l'esprit de ses mouvements et la signification ultime qu'il garde devant lui — et aussi le schéma de sa psychologie et de ses méthodes; mais comme cela n'a pas été et ne pouvait pas être développé systématiquement ou schématiquement dans ces lettres, ceux qui ne sont pas familiarisés avec lui par le mental ou par une certaine pratique ne l'ont pas saisi. Quant aux détails ou à la méthode des stades ultérieurs du yoga qui s'avancent dans des régions peu connues ou inexplorées, je ne les ai pas rendus publics et n'ai pas actuellement l'intention de le faire.
Je sais très bien aussi qu'il a existé des idéaux et des anticipations apparemment similaires — la perfectibilité de l'espèce, certaines sâdhanâ tantriques, la recherche d'une siddhi physique complète par certaines écoles de yoga, etc. J'y ai fait allusion moi-même et j'ai émis l'opinion que le passé spirituel de l'espèce a été une préparation de la Nature, non seulement pour atteindre le Divin au-delà du monde, mais aussi en vue de ce même pas en avant que doit encore accomplir l'évolution de la conscience terrestre. Il m'est en conséquence parfaitement indifférent — même en dépit du fait que ces idéaux étaient jusqu'à un certain point parallèles au mien, et cependant n'étaient pas identiques — que mon yoga, ses objectifs et sa méthode soient reconnus comme nouveaux ou non; en soi, c'est une question mineure. Qu'il soit reconnu comme vrai en lui-même par ceux qui peuvent l'accepter ou le pratiquer, et que sa vérité soit démontrée par son résultat est la seule chose qui compte; peu importe qu'il soit qualifié de nouveauté ou de répétition ou de renaissance d'un ancien yoga oublié. J'ai insisté sur sa nouveauté dans une lettre à certains sâdhak pour leur expliquer qu'une répétition du but et de l'idée des anciens yoga n'était pas suffisante à mes yeux, que je proposais une chose à accomplir qui n'avait encore jamais été accomplie, ni même clairement visualisée, même si elle est le produit naturel, mais encore secret, de tout l'effort spirituel passé.
Il est nouveau, par rapport aux anciens yoga:
(1) Parce qu'il a pour but non l'abandon du monde et de la vie pour le Paradis ou le Nirvana, mais un changement de la vie et de l'existence, non comme quelque chose de subsidiaire et d'accidentel, mais comme un objectif distinct et central. S'il y a une descente dans les autres yoga, ce n'est qu'un incident sur le chemin ou un résultat de l'ascension — l'ascension est la vraie chose. Ici l'ascension est le premier pas, mais elle est un moyen d'obtenir la descente. C'est la descente de la nouvelle conscience atteinte par l'ascension qui est la marque et le sceau de la sâdhanâ. Même le Tantra et le vishnouïsme se terminent dans une libération de la vie; ici l'objectif est l'accomplissement divin de la vie.
(2) Parce que le but poursuivi n'est pas l'accomplissement individuel de la réalisation divine pour l'individu, mais quelque chose qui doit être gagné pour la conscience terrestre ici même, et non pas seulement un accomplissement supra-cosmique. Ce qui doit être gagné, c'est aussi la venue d'un Pouvoir de Conscience (le supramental) qui n'est pas encore organisé ou actif dans la nature terrestre, pas même dans la vie spirituelle, mais qui doit être organisé et rendu directement actif.
(3) Parce qu'une méthode a été préconisée, pour atteindre cet objectif, qui est aussi totale et intégrale que le but qui lui est assigné, c'est-à-dire le changement total et intégral de la conscience et de la nature, reprenant les anciennes méthodes, mais seulement comme une action partielle et une aide présente pour d'autres qui en sont distinctes. Je n'ai pas trouvé cette méthode (dans son ensemble) ni rien de semblable qui ait été professé ou réalisé dans les anciens yoga. Si cela avait été le cas, je n'aurais pas perdu mon temps à tracer une route et passé trente ans en recherches et en création intérieures alors que j'aurais pu trotter en toute sécurité vers mon but par des sentiers déjà tracés, codifiés, parfaitement relevés, macadamisés, rendus sûrs et publics. Notre yoga ne retrace pas les anciens chemins, c'est une aventure spirituelle.
 
 
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J'entendais par là la descente de la conscience supramentale sur la terre; toutes les vérités au-dessous du supramental (même celles du spirituel le plus haut sur le plan mental, qui est le plus haut qui se soit jusqu'ici manifesté) sont soit partielles ou relatives, soit insuffisantes et inaptes à transformer la vie terrestre; elles peuvent tout au plus la modifier et l'influencer. Le supramental est la vaste Conscience-deVérité dont parlaient les anciens voyants; il y en a eu jusqu'à présent des lueurs, parfois une influence ou une pression indirecte, mais il n'a pas été amené ici-bas dans la conscience de la terre et fixé en elle. Le faire descendre ainsi est le but de notre yoga.
Mais il vaut mieux ne pas entrer dans de stériles discussions intellectuelles. Le mental intellectuel ne peut même pas concevoir ce qu'est le supramental; à quoi bon, par conséquent, l'autoriser à discuter ce qu'il ne connaît pas? Ce n'est pas par le raisonnement mais par l'expérience constante, la croissance de la conscience et son élargissement dans la Lumière que l'on peut atteindre ces niveaux supérieurs de conscience au-dessus de l'intellect, d'où le regard peut commencer à s'élever vers la Gnose divine. Ces niveaux ne sont pas encore le supramental, mais ils peuvent recevoir un peu de sa connaissance.
Les rishi védiques n'ont jamais atteint le supramental pour la terre et n'ont peut-être même jamais tenté de le faire. Ils ont essayé de s'élever individuellement jusqu'au plan supramental, mais ils ne l'ont pas amené ici pour en faire un élément permanent de la conscience terrestre. Les Oupanishad suggèrent même dans certains versets qu'il est impossible de passer les portes du Soleil (symbole du supramental) en conservant un corps terrestre. C'est en raison de cet échec que l'effort spirituel de l'Inde a trouvé son sommet dans le Mâyâvâda. Notre yoga est un double mouvement de montée et de descente; on s'élève à des niveaux de conscience de plus en plus hauts, mais en même temps on fait descendre leurs pouvoirs non seulement dans le mental et la vie, mais à la fin jusque dans le corps. Et le plus élevé de ces niveaux, son but, est le supramental. Ce n'est que lorsqu'il pourra être amené ici-bas que la transformation divine sera possible dans la conscience terrestre.
 
 
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Je ne saurais dire si aucun d'entre eux (les rishi védiques) a atteint le plan supramental, mais la montée à ce plan était leur but. Svar signifie évidemment les régions illuminées du Mental, entre le supramental et l'intelligence humaine, formées par les rayons du Soleil. Selon les Oupanishad, ceux qui montent dans les rayons du Soleil reviennent, mais ceux qui montent jusqu'au Soleil même ne reviennent pas. C'est pourquoi la montée jusqu'au Supramental était envisagée, mais la descente et l'organisation du supramental ici-bas (distincte de la descente des Rayons) ne l'étaient pas. Nous ne devons pas nous préoccuper de la réincarnation des rishi ils viendront si besoin est, je suppose.
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Il est très possible que le śloka se rapporte à une montée dans les mondes supérieurs de félicité et de lumière et cela peut être appelé une libération ou une délivrance. Plus tard on croyait fortement que de tous ces mondes le retour est inévitable et que seule la délivrance de toute existence cosmique donne la mukti. Les rishi védiques semblent avoir envisagé une ascension dans un état ou un monde lumineux au-dessus du mensonge et de l'ignorance. Dans les Oupanishad le soleil est le symbole de la Vérité supramentale et il est dit que ceux qui entrent dans ce monde lumineux peuvent revenir, mais que ceux qui passent les portes du soleil ne reviennent pas; cela signifie peut-être qu'une ascension dans le supramental lui-même au-dessus du couvercle d'or du surmental était la libération définitive. Le Véda parle de la Vérité cachée par une Vérité, où le Soleil détache ses chevaux de son char, et là les milliers de rayons sont rassemblés en un seul, et c'était considéré comme le but. L'îsha Oupanishad parle aussi du couvercle d'or cachant la face de la Vérité; en le retirant on voit la loi de la Vérité, et la plus haute connaissance où l'unique Pourousha est connu (so'hamasmi) est décrite comme la forme “kalyāṇatama” du Soleil. Tout cela semble se rapporter aux états supramentaux dont le Soleil est le symbole.
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Les rishi védiques étaient des mystiques du type ancien qui partout, en Inde, en Grèce, en Egypte et ailleurs, considéraient les vérités et les méthodes cachées qu'ils détenaient comme des choses très sacrées et très secrètes, ne devant pas être dévoilées aux individus inaptes qui les comprendraient mal, les appliqueraient mal, les emploieraient mal et dégraderaient la connaissance. Leurs écrits étaient en conséquence rédigés de manière à n'être intelligibles dans leur sens secret que par l'initié, niṇyā vacāṃsi nivacanāni kavaye, mots secrets qui ne transmettent leur signification qu'au voyant. Ils étaient dotés d'un sens apparent exotérique et religieux pour le temple, ésotérique, occulte et spirituel pour les initiés. Que le peuple ne puisse pas découvrir la Vraie Vérité, telle était leur intention; ils voulaient qu'il ne connaisse que les vérités extérieures qui étaient à sa portée.
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La différence fondamentale est dans l'enseignement qu'il existe une Vérité divine dynamique (le supramental) et que dans le monde actuel d'Ignorance cette Vérité peut descendre, créer une nouvelle Conscience-de-Vérité et diviniser la Vie. Les anciens yoga vont droit du mental au Divin absolu, considérant toute existence dynamique comme une Ignorance, une Illusion ou une Lîlâ; quand vous entrez dans la Vérité divine statique et immuable, disent-ils, vous sortez de l'existence cosmique.
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Notre yoga a pour but l'union consciente avec le Divin dans le supramental et la transformation de la nature. Les yoga ordinaires vont droit du mental à un certain état sans forme du silence cosmique, et à travers cet état essaient de disparaître en s'élevant dans le Très-Haut. Le but de notre yoga est de transcender le Mental et d'entrer dans la Vérité divine du Satchidânanda qui n'est pas seulement statique mais dynamique, et d'élever l'être tout entier jusqu'à cette vérité.
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Union divine, oui — mais pour les écoles ascétiques c'était l'union avec le Brahman sans forme, l'Inconnaissable au-delà de l'existence ou, s'il s'agissait de l'Îshwara, c'était tout de même l'Îshwara dans une conscience supracosmique. De ce point de vue l'aphorisme de Patanjali11 est assez fondé. Quand il dit yoga, il entend le processus du yoga, l'objectif qui doit être gardé présent à l'esprit dans le processus — car par la cessation de cittavṛtti on entre en samâdhi et le samâdhi est le seul moyen de s'unir exclusivement et complètement avec le Brahman au-delà de l'existence.
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Dans les yoga d'autrefois, ce que l'on cherchait, c'était l'expérience de l'Esprit, qui est toujours libre et un avec le Divin. Il suffisait que la nature changeât assez pour cesser d'être un obstacle à cette connaissance et à cette expérience. La transformation complète, y compris celle du physique, n'a été cherchée que par un petit nombre, et encore la cherchaiton comme une siddhi plutôt qu'autre chose, non comme la manifestation d'une Nature nouvelle dans la conscience terrestre.
Lumières sur le Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.
 
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Il y a beaucoup de plans au-dessus du mental de l'homme le supramental n'est pas le seul, et sur chacun d'eux le Moi peut être réalisé — car ce sont tous des plans spirituels.
Le mental, le vital et le physique ne sont inextricablement mêlés que dans la conscience de surface — le mental intérieur, le vital intérieur, le physique intérieur sont séparés. Ceux qui cherchent le Moi par les anciens yoga se séparent du mental, de la vie et du corps et réalisent le moi de tout cela comme séparé du reste. Il est très facile de séparer le mental, le vital et le physique entre eux sans l'aide du supramental. Cela se fait par les yoga ordinaires. La différence entre notre yoga et les anciens yoga n'est pas qu'ils sont incompétents et ne peuvent pas le faire — ils le peuvent parfaitement — mais qu'ils vont de la réalisation du Moi jusqu'au Nirvana ou à quelque Paradis et abandonnent la vie, alors que le nôtre n'abandonne pas la vie. Le supramental est nécessaire à la transformation de la vie et de l'être terrestres, non pour atteindre le Moi. On doit réaliser le Moi d'abord, et ce n'est qu'ensuite qu'on peut réaliser le supramental.
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On peut sentir les expériences de n'importe quelle sâdhanâ comme une partie de celle-ci.
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La réalisation de l'Esprit vient longtemps avant le développement du surmental ou du supramental; en tous temps des centaines de sâdhak ont eu la réalisation de l'Âtman dans les plans supérieurs du mental, buddheḥ parataḥ, mais il ne leur était pas donné d'atteindre la réalisation supramentale. On peut avoir des réalisations partielles du Moi ou de l'Esprit ou du Divin sur n'importe quel plan, mental, vital, physique même, et quand on s'élève au-dessus du plan mental ordinaire de l'homme jusqu'à un mental plus haut et plus large, le Moi commence à apparaître dans toute son immensité consciente.
C'est en entrant pleinement dans cette immensité du Moi que la cessation de l'activité mentale devient possible; on obtient le Silence intérieur. Ensuite ce Silence intérieur peut demeurer en dépit de toute sorte d'activité; l'être reste silencieux au-dedans, l'action se poursuit dans les instruments, et on reçoit toutes les intuitions nécessaires, tous les moyens d'exécution nécessaires, qu'ils soient mentaux, vitaux ou physiques, d'une source supérieure, sans que soient troublés la paix et le calme fondamentaux de l'Esprit.
Les états du surmental et du supramental sont encore plus élevés que celui-là; mais avant de pouvoir les comprendre, on doit d'abord avoir la réalisation de soi, la pleine action du mental et du cœur spiritualisés, l'éveil psychique, la libération de la conscience emprisonnée, la purification et l'ouverture entière de l'âdhâr. Ne pensez pas pour le moment à ces réalisations ultimes (surmental, supramental), mais obtenez d'abord ces fondations dans la nature libérée.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.
 
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La spiritualisation est la descente de la paix, de la force, de la lumière, de la pureté, de l'Ânanda, etc., supérieurs, qui appartiennent à l'un des plans supérieurs depuis le Mental supérieur jusqu'au surmental, car dans chacun de ces plans le Moi peut être réalisé. Elle apporte une transformation subjective; la Nature instrumentale n'est transformée que jusqu'à devenir un instrument du Divin cosmique pour accomplir un travail, mais le moi au-dedans reste calme et libre et uni au Divin. Mais cette transformation individuelle est incomplète — la pleine transformation de la Nature instrumentale ne peut venir que quand le changement supramental intervient. Jusque-là la nature demeure pleine de bien des imperfections, mais le Moi dans les plans supérieurs n'en est pas gêné, puisqu'il est lui-même libre et impassible. L'être intérieur jusqu'au physique intérieur peut aussi être libre et impassible. Le surmental est sujet à des limitations dans les opérations de la Connaissance effective, à des limitations dans les opérations du Pouvoir, sujet à une Vérité partielle et limitée, etc. Ce n'est que dans le Supramental que la pleine Conscience-de-Vérité fait son apparition.
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Vivre dans la vraie conscience, c'est vivre dans une conscience dans laquelle on est spirituellement en union avec le Divin d'une manière ou d'une autre. Mais il ne s'ensuit pas qu'en vivant ainsi on aura la vérité complète, exacte et infaillible sur toutes les actions, toutes les choses et toutes les personnes.
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152
Le Divin peut être réalisé sur n'importe quel plan, selon la capacité de ce plan, puisque le Divin est partout. Les yogi et les saints réalisent le Divin sur le plan du mental spiritualisé; cela ne signifie pas qu'ils deviennent supramentaux.
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153
Parce que c'est un grand homme, est-ce qu'il s'ensuit que tout ce qu'il pense ou dit est juste? Ou parce qu'il vit dans la lumière, est-ce qu'il s'ensuit que sa lumière est absolue et complète? “Conscience-de-Vérité” est une expression que j'emploie pour parler du supramental. X n'est pas dans le supramental. Il peut être, et il est, dans une Conscience vraie, mais c'est une autre affaire.
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154
Vous êtes peut-être de l'avis de X, “le Divin est ici, comment peut-il descendre de quelque part?”. Le Divin est peut-être ici, mais s'il a recouvert ici sa Lumière par l'obscurité de l'Ignorance et son Ânanda par la souffrance, cela, je pense, fait une grande différence sur ce plan-ci, et même si l'on entre dans cette Lumière, cet Ânanda, etc., cachés, cela fait une différence dans la conscience, mais très peu dans l'Énergie qui travaille sur ce plan, et qui garde un caractère obscur ou mélangé.
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155
La Force divine peut agir sur n'importe quel plan — elle ne se borne pas à la Force supramentale. Le supramental n'est qu'un aspect du pouvoir du Divin.
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156
Le sâdhak du yoga intégral qui hésite à dépasser l'Impersonnel n'est plus un sâdhak du yoga intégral. La réalisation impersonnelle est la réalisation du moi silencieux, de la pure Existence, Connaissance et Béatitude en soi, sans aucune perception d'un Existant, Conscient, Béatifique. Elle mène par conséquent au Nirvana. Dans la connaissance intégrale la réalisation du Moi et du Satchidânanda impersonnel n'est qu'une étape bien que très importante, ou une partie de la connaissance intégrale. C'est le commencement, non la fin de la plus haute réalisation.
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Ces sentiments sont l'attitude habituelle de la conscience physique à l'égard du Divin quand elle est abandonnée à elle-même — elle devient complètement agnostique et incapable d'avoir l'expérience.
La connaissance du Divin impersonnel ne peut en soi affecter les faits matériels de la terre ou du moins ne les affecte pas nécessairement. Elle ne produit qu'un changement subjectif dans l'être et, si ce changement est complet, une vision et une attitude nouvelles à l'égard de toutes choses immatérielles ou matérielles. Mais la connaissance complète du Divin peut produire un changement dans les choses matérielles, car elle met en marche une Force qui finit par agir même sur ces choses matérielles qui paraissent à la conscience physique si absolues, invincibles et immuables.
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158
Pourquoi ne pourrait-on pas aimer concrètement le Divin cosmique et transcendant et en avoir l'expérience concrète? Beaucoup l'ont fait. Et pourquoi présumer qu'il est immobile, silencieux et lointain? Le Divin cosmique peut être aussi proche de vous que vous-même et le Transcendant aussi intime que l'ami ou l'amant le plus proche. Ce n'est que dans la conscience physique qu'il y a quelque difficulté à réaliser cela.
La réalisation jaïn de la divinité individuelle est excellente dans ses limites — son défaut est d'être trop individuelle et isolée.
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Je n'ai jamais entendu parler de descente du silence dans d'autres yoga — le mental entre en silence. Pourtant, depuis que j'ai parlé d'ascensions et de descentes, on m'a dit de plusieurs côtés qu'il n'y avait rien de nouveau dans mon yoga — alors je me demande si les gens n'avaient pas des ascensions et des descentes sans le savoir! ou du moins sans remarquer le processus. C'est comme la montée et la stabilisation au-dessus de la tête — que j'ai ressentie, et d'autres aussi, dans ce yoga. La première fois que j'en ai parlé, les gens m'ont regardé en pensant que je disais des sottises. L'immensité doit avoir été ressentie dans d'autres yoga car autrement on n'aurait pas pu sentir l'univers en soi, ni être libéré de la conscience corporelle, ni s'unir avec l'Anantam Brahman. Mais généralement, comme dans le yoga tantrique, on parle de la conscience s'élevant jusqu'au brahmarandhra, le dessus de la tête, comme du sommet. Le Râdja-yoga, bien sûr, présente le samâdhi comme le seul moyen d'atteindre l'expérience la plus élevée. Mais il est évident que si on n'a pas la brāhmīsthiti à l'état de veille, la réalisation n'est pas complète. La Guîtâ parle clairement d'être samāhita (ce qui équivaut à être en samâdhi) et du brāhmīsthiti comme d'un état de veille dans lequel on vit et accomplit toutes les actions.
09.06.1936
 
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C'est ce que j'ai toujours pensé. Texplique moi-même cette absence d'expérience de la descente par le fait que les anciens yoga se cantonnaient principalement dans la catégorie psycho-spirituelle-occulte d'expériences — où les expériences supérieures pénètrent dans le mental tranquille, ou dans la concentration du cœur, à travers une sorte de filtre ou de reflet — le champ de cette expérience s'étendant du brahmarandhra vers le bas. Les gens ne s'élevaient au-dessus qu'en samâdhi ou dans un état de moukti statique sans aucune descente dynamique. Tout ce qui était dynamique se passait dans la région du mental spiritualisé et de la conscience physico-vitale. Dans notre yoga la conscience (quand le domaine inférieur a été préparé par une certaine quantité d'expériences psycho-spirituelles-occultes) est attirée vers le haut, au-dessus du brahmarandhra, vers des régions supérieures qui appartiennent à la conscience spirituelle proprement dite; au lieu de se contenter de recevoir ce qui vient de ces régions, elle doit y vivre et, à partir de là, changer entièrement la conscience intérieure. Car il y a là un dynamisme propre à la conscience spirituelle dont la nature est Lumière, Pouvoir, Ânanda, Paix, Connaissance, Immensité infinie; c'est cela qu'il faut posséder et qui doit descendre dans tout l'être. Autrement on peut avoir la mukti mais pas la perfection ou la transformation (à part un relatif changement psycho-spirituel). Mais si je dis cela, il s'élèvera un hurlement général contre la présomption impardonnable qui consiste à proclamer une connaissance que ne possédaient pas les anciens saints et sages et à prétendre vouloir les surpasser. À ce propos, je puis dire que les Oupanishad (notamment la Taïttirîya) contiennent quelques indications sur ces plans supérieurs et leur nature, et sur la possibilité de rassembler toute la conscience et de s'élever jusqu'à eux. Mais ensuite on a oublié cela et les gens n'ont plus parlé que de la bouddhi comme de la chose la plus élevée, avec le Pourousha ou le Moi juste au-dessus, mais sans avoir aucune idée claire de ces plans supérieurs. Ergo, montée possible vers des régions inconnues, ineffables et célestes en samâdhi, mais aucune descente possible — par conséquent, aucun recours, aucune possibilité de transformation ici, rien que l'évasion hors de la vie et la mukti dans Gôlôka, Brahmalôka, Shivalôka ou l'Absolu.
11.06.1936
 
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Il peut arriver à certains d'avoir une descente sans remarquer que c'est une descente parce qu'ils n'en sentent que le résultat. Le yoga ordinaire ne va pas au-delà du mental spiritualisé — les gens sentent au sommet de la tête la jonction avec le Brahman, mais ils ignorent l'existence d'une conscience au-dessus de la tête. De même, dans le yoga ordinaire, ils sentent la montée de la conscience inférieure éveillée (koundalinî) vers le brahmarandhra où la Prakriti rejoint la conscience du Brahman, mais ils ne sentent pas la descente. Certains peuvent avoir eu ces expériences, mais à ma connaissance ils n'en ont pas compris la nature, le principe ni la place dans une sâdhanâ complète. Du moins n'ai-je jamais entendu les autres parler de ces choses avant de les avoir moi-même découvertes par ma propre expérience. La raison en est que les anciens yogi, quand ils allaient au-dessus du mental spirituel, passaient en samâdhi, ce qui signifie qu'ils ne tentaient pas d'être conscients dans ces plans supérieurs — leur but était de s'en aller dans le Supraconscient, non pas d'amener le Supraconscient dans la conscience éveillée, ce qui est le but de mon yoga.
26.07.1935
 
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162
Le Véda ne contient aucune idée, aucune expérience d'une émanation ou d'une incarnation personnelle d'un des dieux védiques. Quand les rishi parlent d'Indra, d'Agni ou de Sôma dans les hommes, ils parlent du dieu dans sa présence, son pouvoir ou sa fonction cosmique. Cela ressort du langage même qu'ils emploient en parlant d'Agni comme l'immortel dans les mortels, de la Lumière immortelle dans l'homme, du Guerrier intérieur, de l'Hôte dans les êtres humains. Il en est de même avec Indra ou Sôma. Créer les dieux dans l'homme signifie créer les Pouvoirs divins — Indra le pouvoir de la Lumière, Sôma le Pouvoir de l'Ânanda — dans la nature humaine.
Il est certain que les rishi sentaient la présence réelle des dieux au-dessus d'eux, près d'eux, autour d'eux ou en eux, mais c'était une expérience commune à tous, non pas spéciale et personnelle, non une émanation ou une incarnation. On peut voir ou sentir la présence du Divin ou un Pouvoir divin au-dessus de la tête ou dans le cœur, ou dans un autre centre, ou dans tous, sentir la présence, sentir la forme qui y vit; on peut être gouverné par elle dans toutes ses actions, ses pensées et ses sentiments; on peut perdre en elle sa personnalité séparée, s'y identifier, s'y immerger. Mais tout cela ne constitue pas une incarnation ou une émanation du Divin ou du Pouvoir. Ces choses sont des expériences universelles auxquelles n'importe quel yogi peut arriver; atteindre cet état de relation avec le Divin est en fait un objectif commun du yoga.
Une incarnation est quelque chose de plus, quelque chose de spécial et d'individuel pour l'être individuel. C'est la Personne d'un être divin qui se substitue à la personne humaine et s'infiltre dans tous ses mouvements si bien qu'il y a en eux et dans la nature tout entière un changement dynamique; non seulement un changement du caractère de la conscience ou une consécration générale entre ses mains, mais un changement personnel intime et subtil. Quand il y a une incarnation dès la naissance, les éléments humains doivent être repris, mais quand il y a une descente, il y a une substitution consciente et totale.
C'est un processus long, subtil et persévérant. La Personne qui s'incarne projette d'abord son ombre comme une influence, puis pénètre les centres l'un après l'autre, parfois sous la même forme, parfois sous des formes différentes, puis reprend toute la nature et ses actions. Ce que vous décrivez ne correspond pas à ce processus; cela paraît être un effort pour construire les dieux en vous-même dans le sens védique et à la manière védique. Cela peut, en cas de succès, apporter leurs pouvoirs et un sens de leur présence; cela ne peut pas amener une incarnation. Une incarnation vous est destinée, est choisie pour vous; la personne humaine ne peut choisir ou créer une incarnation pour elle-même par sa propre volonté personnelle. Le tenter, c'est attirer un désastre spirituel.
Une chose doit être dite: une incarnation n'est pas le but de notre yoga; ce n'est qu'une condition ou un moyen d'y parvenir. Le seul et unique but qui nous est assigné est de faire descendre la Conscience supramentale et la Vérité supramentale dans le monde; la Vérité, rien que la Vérité est notre but, et si nous ne pouvons incarner cette Vérité, cent incarnations n'y feront rien. Mais faire descendre le vrai supramental, échapper à tout mélange mental n'est pas facile. La simple descente des soleils dans les centres, et même des sept soleils dans les sept centres, n'est que le germe; ce n'est pas la chose elle-même faite et terminée. On peut sentir la descente des soleils, on peut avoir la tentative, le début d'une incarnation, et pourtant finalement échouer, s'il y a une faille dans la nature ou si on ne peut passer par toutes les épreuves et satisfaire à toutes les dures conditions de la réussite spirituelle parfaite. Non seulement toute la nature mentale, vitale et physique doit être surmontée et transformée, mais aussi les trois états de conscience mentale qui s'interposent entre l'humain et le supramental et qui, comme tout ce qui est mental, sont capables d'admettre de grandes, de capitales erreurs. Jusque-là il peut y avoir des descentes de l'influence, de la lumière, du pouvoir, de l'Ânanda du supramental, mais la Vérité supramentale ne peut pas être possédée, organisée, mise en possession de la nature entière. On ne doit pas penser, avant cela, qu'on possède le supramental; car c'est une duperie qui empêcherait l'accomplissement.
Encore une chose. Plus les expériences qui viennent sont intenses et les forces qui descendent sont hautes, plus les possibilités de déviation et d'erreur deviennent grandes. Car l'intensité même et la hauteur même de la force excitent et magnifient les mouvements de la nature inférieure, y soulèvent tous les éléments contraires avec toute leur vigueur, mais souvent sous le déguisement de la vérité et avec un masque de justification plausible. Il faut avoir beaucoup de patience, du calme, de la pondération, de l'équilibre, un détachement impersonnel et une sincérité exempte de toute trace d'ego et de tout désir humain personnel. Il ne doit y avoir aucun attachement à aucune idée personnelle, à aucune expérience, aucune sorte d'imagination, de construction mentale ni d'exigence vitale; la lumière du discernement doit toujours être présente pour dépister ces choses, si justes ou plausibles puissent-elles sembler. Sinon, la Vérité n'a aucune chance de s'installer dans toute la pureté de sa nature.
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163
Ce récit décrit des méthodes bien établies qui sont celles du Jnâna-yoga (1) concentration fixée sur un point, suivie de suspension de la pensée, (2) méthode qui consiste à distinguer le vrai moi ou à le trouver en le séparant du mental, de la vie, du corps, et à venir au pur “Moi” derrière; lui aussi peut disparaître dans le Moi impersonnel. Le résultat habituel est une immersion dans l'Âtman ou le Brahman — qui est ce que signifie, pourrait-on supposer, le Surmoi, car c'est cela qui est le véritable Surmoi. Ce Brahman ou Âtman est partout, tout est en lui, lui en tout, et cependant il est en tout non comme un être individuel dans chacun, mais comme le même en tous — comme l'Ether est en tout. Quand l'immersion dans le Surmoi est complète, il n'y a pas d'ego, pas de Moi distinct, aucune forme de personne ou de personnalité séparée. Tout est une Unité indivisible et indiscernable, libre de toute formation ou portant en elle toutes les formations sans en être affectée; elle peut être réalisée d'une manière ou de l'autre. C'est une réalisation où toutes choses se meuvent dans le Moi unique et ce Moi est là, stable dans tous les êtres; il y en a une autre plus complète et plus approfondie où non seulement c'est ainsi, mais où tous sont réalisés avec éclat comme le Moi, le Brahman, le Divin. Dans la première il est possible d'éliminer tous les êtres comme des créations de Maya, en laissant le Moi unique comme seul vrai: dans l'autre il est facile de les considérer comme de vraies manifestations du Moi, non comme des illusions. Mais on peut aussi considérer tous les êtres comme des âmes, des réalités indépendantes dans une Nature éternelle dépendant du Divin seul. Telles sont les réalisations caractéristiques du Surmoi familières au Védânta. Mais d'autre part, vous dites que ce Surmoi est réalisé comme logeant dans le centre du cœur, et il est décrit comme quelque chose de dissimulé qui, quand il se manifeste, apparaît comme le vrai Penseur, source de toute action mais guidant maintenant la pensée et l'action dans la Vérité. La première description s'applique donc au Pourousha dans le cœur, décrit dans la Guîtâ comme l'Îshwara situé dans le cœur et par les Oupanishad comme le Pourousha Antarâtma; la seconde pourrait s'appliquer aussi au Pourousha mental, manomayaḥ prāṇaśarīra netā des Oupanishad, l'être mental ou Pourousha qui mène la vie et le corps. Votre question, d'après les faits exposés, se réfère donc à toutes ces expériences et les accepte, mais elles sont liées les unes aux autres sans qu'une distinction ou une gradation suffisante ait été faite, ou jugée nécessaire entre les différents aspects de l'Être unique. Il y a mille façons d'approcher et de réaliser le Divin et chaque voie a ses propres expériences qui ont leur propre vérité et reposent en réalité sur une base unique en essence mais complexe dans ses aspects, commune à toutes mais exprimée différemment par chacun. Il n'est pas très utile de discuter ces variations; l'important est de suivre sa propre voie correctement et à fond. Dans notre yoga on peut réaliser l'être psychique comme une portion du Divin située dans le cœur avec le Divin l'y soutenant — cet être psychique prend en charge la sâdhanâ et tourne tout l'être vers la Vérité, le Divin, avec des résultats dans la conscience mentale, vitale et physique, que je n'ai pas besoin d'approfondir ici — c'est la première transformation. Nous réalisons ensuite le Moi unique, Brahman, le Divin, d'abord au-dessus du corps, de la vie et du mental et pas seulement dans le cœur qui les soutient — au-dessus, libre, non attaché, comme le Moi statique en tous et dynamique aussi comme l'Être et le Pouvoir divin actif, Îshwara-Shakti, contenant le monde et le pénétrant tout en le transcendant, manifestant tous les aspects cosmiques. Mais le plus important pour nous est qu'il se manifeste comme Lumière, Connaissance, Pouvoir, Pureté, Paix, Ânanda transcendants dont nous devenons conscients et qu'il descende dans l'être et remplace progressivement la conscience ordinaire elle-même par ses propres mouvements — c'est la deuxième transformation. Nous réalisons aussi la conscience elle-même comme s'élevant, montant à travers de nombreux plans, physique, vital, mental, surmental jusqu'aux plans du supramental et de l'Ânanda. Il n'y a là rien de nouveau: il est indiqué dans la Taïttirîya Oupanishad qu'il y a cinq Pourousha, le physique, le vital, le mental, le Pourousha de la Vérité (supramental) et le Pourousha de la Béatitude; elle dit qu'il faut attirer le moi physique dans le moi vital, le vital dans le mental, le mental dans le moi de la Vérité, le moi de la Vérité dans le moi de la Béatitude et ainsi atteindre la perfection. Mais dans notre yoga nous devenons conscients non seulement de cette ascension mais aussi de la coulée du pouvoir du Moi supérieur qui se déverse, amenant la possibilité d'une descente du Moi et de la nature supramentaux dominant et changeant notre nature présente et la transformant de nature d'ignorance en nature de Connaissance-de-Vérité (et par le supramental en nature d'Ânanda) — c'est la troisième transformation ou transformation supramentale. Cela ne se produit pas toujours dans cet ordre, car pour beaucoup la descente spirituelle commence d'abord d'une manière imparfaite avant que le psychique soit en avant et commande, mais le développement psychique doit être atteint avant qu'une descente spirituelle parfaite et sans entraves puisse se produire, et le dernier changement ou changement supramental est impossible tant que les deux premiers ne sont pas devenus entiers et complets. Voilà toute l'affaire exposée aussi brièvement que possible.
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Ce que vous exigez de moi remplirait un volume et non une lettre — surtout qu'il s'agit de questions auxquelles les gens connaissent moins que rien et ne comprendraient rien, ou comprendraient tout de travers. Un jour, je suppose, j'écrirai quelque chose, mais le supramental ne supporte pas qu'on parle de lui maintenant. Il sera peut-être possible de dire quelque chose sur la transformation spirituelle et il se peut que je finisse la lettre sur ce point.
Je ne veux pas poursuivre plus avant la question de la réalisation de M. Comme je l'ai dit, les comparaisons sont inutiles; chaque sentier a son propre but, sa direction et sa méthode, et la vérité de chacun n'invalide pas la vérité de l'autre. Le Divin (ou, si vous préférez, le Moi) a de nombreux aspects et peut être réalisé de bien des façons — s'attarder sur ces différences est sans objet et sans utilité.
“Transformation” est un mot que j'ai introduit (comme “supramental”) pour exprimer certains concepts spirituels et certains faits spirituels du yoga intégral. Les gens les ont maintenant repris et les utilisent dans des sens qui n'ont rien à voir avec la signification que je leur ai donnée. La purification de la nature par l'“influence” de l'Esprit n'est pas ce que je veux dire par transformation; la purification n'est qu'une partie d'un changement psychique ou psycho-spirituel — ce mot a par ailleurs de nombreux sens et reçoit très souvent une acception morale ou éthique qui est étrangère à mon propos. Ce que je veux dire par transformation spirituelle est quelque chose de dynamique (pas seulement la libération du Moi ou la réalisation de l'Un qui peuvent très bien être atteints sans aucune descente). Elle consiste à établir la conscience spirituelle, dynamique autant que statique, dans toutes les parties de l'être jusqu'au subconscient. Cela ne peut se faire par une influence du Moi qui laisserait la conscience fondamentalement telle quelle à part une purification, une illumination du mental et du cœur et une accalmie du vital. Elle consiste à faire descendre la Conscience Divine, statique et dynamique, dans toutes ces parties et à remplacer entièrement la conscience actuelle par elle. Nous la trouvons dévoilée et sans mélange au-dessus du mental, de la vie et du corps. C'est un fait d'expérience indéniable chez beaucoup qu'elle peut descendre et selon mon expérience seule la pleine descente peut retirer entièrement le voile et le mélange et effectuer la pleine transformation spirituelle. Aucun raisonnement métaphysique ou logique dans le vide sur ce que l'Âtman “doit” faire ou peut faire ou a besoin ou n'a pas besoin de faire n'a de rapport ou de valeur ici. Je puis ajouter que la transformation n'est pas l'objectif central des autres sentiers comme elle l'est dans notre yoga — ils n'exigent qu'une purification et un changement suffisants pour conduire à la libération et à ce qui est au-delà de la vie. L'influence de l'Âtman peut sans aucun doute accomplir cela la descente complète d'une nouvelle conscience dans toute la nature du haut en bas pour transformer la vie ici n'est pas du tout nécessaire pour l'évasion spirituelle hors de la vie.
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Le cœur dont parlent les Oupanishad correspond au centre cardiaque physique; c'est le hṛtpadma des tantriques. Comme centre subtil, cakra, il est censé avoir son extrémité dans la colonne vertébrale et s'élargir par-devant. Peu importe où exactement dans cette région une personne ou l'autre le sent; le sentir là et être guidé par lui est le principal. Je ne peux pas dire ce que M a réalisé — mais ce qu'il décrit comme le Moi est certainement ce Pourousha Antarâtma, mais qui s'attache ici davantage à la moukti et à l'action libérée qu'à la transformation de la nature. Ce qu'apporte la réalisation psychique est un changement psychique de la nature qui la purifie et la tourne complètement vers le Divin. Après cela ou avec cela vient la réalisation du Moi cosmique. Ce sont ces deux choses que les anciens yoga englobaient et par elles ils passaient au môksha, au Nirvana ou au départ dans quelque sorte de transcendance céleste. Le yoga pratiqué ici inclut à la fois la libération et la transcendance, mais il prend la libération ou même un certain Nirvana, s'il vient, comme un premier pas et non comme le dernier stade de la siddhi. Quelle que soit la sortie vers le Transcendant ou dans sa direction à laquelle il parvienne, c'est une ascension accompagnée d'une descente du pouvoir, de la lumière, de la conscience qui doit être accomplie et c'est par ces descentes que s'accomplit ici la transformation spirituelle et supramentale. La pensée de M ne semble pas l'admettre; il considère la Descente comme superflue et logiquement impossible. “Le Divin est ici, d'où va-t-il descendre?” est son argument. Mais le Divin est partout, II est au-dessus aussi bien qu'au-dedans, il a beaucoup de demeures, beaucoup de cordes à son arc de Pouvoir, il y a beaucoup de niveaux de sa Conscience dynamique et chacun a sa propre lumière et sa propre force. Il n'est pas borné à sa situation dans le cœur ou à l'unique parole de la réalisation psycho-spirituelle. Il a aussi sa position supramentale au-dessus du centre du cœur et du centre du mental et peut en descendre si telle est sa volonté.
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Je pense que les réalisations de Râmatîrtha étaient plus mentales qu'autre chose. Il avait l'ouverture du mental supérieur et une réalisation, dans ce mental, du Moi cosmique, mais je ne trouve aucune preuve d'un mental et d'un vital transformés; cette transformation n'est ni un résultat, ni un objectif du yoga de la Connaissance. Dans la réalisation du voea de la Connaissance, on se sent vivre dans l'ampleur de quelque chose de silencieux, sans forme et universel (appelé le Moi) et tout le reste n'est que formes et noms; le Moi est réel, rien d'autre. La réalisation de “won Moi dans d'autres formes” est une partie de cela ou un pas vers cela, mais dans la réalisation complète le “mon” doit disparaître pour qu'il n'y ait que le Moi unique ou plutôt le Brahman seul. Car le Moi n'est qu'un aspect subjectif du Brahman, comme l'Îshwara est son aspect objectif. Telle est la “Connaissance” védântique. Son résultat est paix, silence, libération. Quant à la Prakriti active (mental, vital, corps), le yoga de la Connaissance n'a pas pour but de la transformer — ce serait inutile puisque l'idée est que si la libération est venue, tout cela disparaîtra à la mort. Le seul changement recherché est l'élimination de l'idée de l'ego et la réalisation que seul est vrai le Moi suprême, le Brahman.
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Je n'ai pas lu les œuvres de Ramdas et je n'ai connaissance ni de sa personnalité, ni de ce que peut être le niveau de son expérience. Les paroles que vous citez peuvent être l'expression d'une foi simple ou d'une expérience panthéiste; évidemment, si l'auteur les utilise en vue ou dans l'intention d'établir la thèse que le Divin est partout et est tout et que par conséquent tout est bien, étant divin, elles sont très insuffisantes. Mais en tant qu'expérience, il est très courant d'avoir ce sentiment ou cette réalisation dans la sâdhanâ védântique — en fait, sans elle il n'y aurait pas de sâdhanâ védântique. Je l'ai eu moi-même à différents niveaux de conscience et sous de nombreuses formes, et j'ai rencontré quantité de gens qui l'ont eu de manière très authentique — non comme une théorie ou une perception intellectuelle, mais comme une réalité spirituelle trop concrète pour qu'ils puissent la nier, quels que soient les paradoxes qu'elle peut entraîner pour l'intelligence ordinaire.
Évidemment cela ne signifie pas que tout ici est bien ou que dans l'échelle des valeurs un bordel est aussi bon qu'un ashram, mais cela signifie bien que tout est partie d'une manifestation unique et qu'au plus profond du cœur de la catin, comme au plus profond du cœur du sage ou du saint, réside le Divin. En outre, selon son expérience, une Force unique est à l'œuvre dans le monde, dans le bien comme dans le mal — une Force cosmique; elle est à l'œuvre autant dans le succès (ou l'échec) de l'ashram que dans le succès (ou l'échec) du bordel. Les choses sont faites dans ce monde au moyen de la force, bien qu'il en soit fait usage selon la nature de l'utilisateur; l'un l'utilise à des œuvres de Lumière, l'autre à des œuvres d'Obscurité, un autre encore à un mélange. Je ne pense pas qu'aucun védântin (sauf peut-être quelques modernes) soutiendrait que tout ici est bien — l'idée védântique orthodoxe est que tout ici est un inextricable mélange de bien et de mal, un jeu de l'Ignorance et par conséquent un jeu des dualités. Les missionnaires chrétiens, je suppose, soutiennent que tout ce que fait Dieu est moralement bon; aussi sont-ils choqués que les prêtres taoïstes aident le travail du bordel par leurs rites. Mais les prêtres chrétiens n'ont-ils pas invoqué l'aide de Dieu pour que des hommes soient anéantis dans la bataille et certains n'ont-ils pas chanté des Te Deum pour des victoires remportées en massacrant des hommes et en affamant des femmes et des enfants? Le taoïste qui ne croit qu'au Tao impersonnel est plus cohérent; la théorie du védântin, qui croit que le Suprême est au-delà du bien et du mal, mais que la Force cosmique placée ici par le Suprême travaille à travers les dualités, donc à travers le bien comme le mal, la joie comme la souffrance, tient compte au moins du double fait de l'expérience du Suprême qui est Toute Lumière, Toute Félicité et Toute Beauté, et d'un monde où se mêlent lumière et ombre, joie et souffrance, beauté et laideur. Les dualités, dit-il, proviennent d'une Ignorance séparatrice et aussi longtemps que vous acceptez cette ignorance séparatrice, vous ne pouvez pas vous débarrasser des dualités, mais il est possible de s'en retirer par l'expérience et d'avoir la réalisation du Divin en tout et du Divin partout; alors vous commencez à réaliser la Lumière, la Félicité et la Beauté derrière tout, et c'est la seule chose à faire. Vous commencez aussi à réaliser la Force unique et vous pouvez vous en servir ou la laisser se servir de vous pour que croisse la lumière en vous et dans les autres — non plus pour la satisfaction de l'ego et pour les œuvres de l'ignorance et de l'obscurité.
Je ne sais pas quelle réponse R donnerait au dilemme de la cruauté des choses. On pourrait répondre que le Divin au-dedans est ressenti à travers l'être psychique; et que la nature de l'être psychique est faite de Lumière, d'Harmonie et d'Amour divins, mais qu'il est recouvert par l'ego mental et vital séparateur d'où la lutte, la haine, la cruauté découlent naturellement. Il est par conséquent naturel de ressentir dans la bonté la main du Divin, alors que la cruauté est ressentie comme un déguisement ou une perversion dans la nature, bien que cela n'empêche pas l'homme qui a la réalisation de sentir le Divin derrière le déguisement et de l'y rencontrer. J'ai même connu des cas où la perception du Divin en tous, accompagnée d'une intense expérience d'amour universel et d'une vaste expérience d'harmonie intérieure, avait l'effet extraordinaire de rendre tout l'entourage bon et coopératif, même les plus rudes, les plus durs et les plus cruels. Peut-être une expérience semblable est-elle à la base de l'affirmation de R sur la bonté. Quant à l'œuvre du Divin, l'expérience de la réalisation du védântin est que derrière le mélange confus de bien et de mal quelque chose travaille, qu'il réalise comme étant le Divin, et dans sa propre vie il peut regarder en arrière et voir ce que chaque pas, heureux ou malheureux, signifiait pour son progrès, et comment cela l'a mené vers la croissance de l'esprit. Naturellement la plénitude s'affirme à mesure que la réalisation progresse; auparavant il devait avancer guidé par la foi, et il lui est souvent arrivé de sentir sa foi faiblir, de se laisser aller pour un temps au chagrin, au doute et au désespoir.
Je ne sais pas si, dans ce que j'ai écrit, quelque chose pourrait éclairer cette difficulté. Vous y trouveriez surtout l'exposé de l'expérience védântique, car c'est à travers elle que j'ai passé et bien que je sois maintenant passé à quelque chose qui est au-delà, elle me paraît être la préparation la plus complète et la plus radicale pour ce qui vient au-delà, bien que je ne dise pas qu'il est indispensable de passer par elle. Mais quelle que soit la solution, il me semble que le védântin a raison d'insister sur le fait que l'on doit, pour y parvenir, admettre les deux faits: la prédominance ici du mal et de la souffrance, et l'expérience de ce qui en est libéré — et ce n'est que par l'expérience progressive que l'on peut trouver la solution — que ce soit par la réconciliation, par une descente conquérante ou par une évasion. Si nous nous basons sur l'axiome que la prédominance de la souffrance et du mal à l'heure présente et dans la dure réalité extérieure des choses réfute par elle-même tout ce que les sages et les mystiques ont expérimenté de l'autre côté, du Divin réalisable, alors aucune solution ne semble possible.
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Non, je ne voulais certainement pas dire que le védântin qui voit derrière les apparences du monde une œuvre plus grande vit dans un monde différent de notre monde matériel — si j'avais voulu dire cela, tout ce que j'ai écrit aurait été dépourvu de portée ou de sens. Je voulais parler d'un védântin qui vit dans ce monde avec toute sa souffrance, son ignorance, sa laideur, son mal, et qui en a eu sa pleine mesure: trahison et abandon des amis, échec dans les entreprises extérieures et les désirs de la vie, attaques et persécutions, maladies accumulées, difficultés constantes, luttes, faux pas dans son yoga. Il ne vit pas dans un monde différent, mais il a une manière différente de faire face aux épreuves, aux coups et aux dangers. Il les admet comme la nature de ce monde et le résultat de la conscience d'ego dans laquelle il vit. Il essaie par conséquent de croître dans une autre conscience où il sent ce qui est derrière les apparences extérieures, et à mesure qu'il croît dans cette conscience plus large, il commence à sentir de plus en plus un travail derrière qui l'aide à croître dans l'esprit et le mène vers la maîtrise et la libération de l'ego et de l'ignorance, et il voit que tout a été utilisé à cette fin. Jusqu'à ce qu'il atteigne cette conscience avec sa connaissance plus large des choses, il doit marcher soutenu par la foi et sa foi peut par moments lui manquer, mais elle revient et le porte à travers toutes les difficultés. Tout le monde n'est pas obligé d'accepter cette foi et cette conscience, mais il y a derrière cela, pour la vie spirituelle, quelque chose de grand et de vrai.
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169
Il y a une chose que je crois devoir dire à propos de votre remarque sur l'âme de l'Inde et l'observation de X sur “cette insistance sur ce monde-ci à l'exclusion de l'autre monde”. Je ne comprends pas bien à propos de quoi il a fait cette remarque ou ce qu'il entendait par ce monde-ci, mais je crois nécessaire de préciser ma position à cet égard. Ma propre vie et mon yoga ont toujours été, depuis mon arrivée en Inde, à la fois de ce monde-ci et de l'autre monde, sans aucune exclusive à l'égard de l'un ou de l'autre. Tous les intérêts humains sont, je suppose, de ce monde-ci, la plupart d'entre eux ont pénétré dans mon domaine mental, et certains, comme la politique, dans ma vie; mais en même temps, depuis que j'ai foulé le sol de l'Inde en débarquant de l'Apollo Bunder à Bombay, j'ai commencé à avoir des expériences spirituelles; celles-ci n'étaient cependant pas séparées de ce monde, mais avaient une portée intérieure et infinie sur lui, par exemple le sentiment de l'Infini s'infiltrant dans l'espace matériel et de l'Immanent habitant des objets et des corps matériels. En même temps je me suis trouvé pénétrant dans des mondes et des plans supraphysiques avec des influences et un effet venant d'eux sur le plan matériel, de sorte que je ne pouvais faire aucune rupture brutale, aucune opposition inconciliable entre ce que j'ai appelé les deux fins de l'existence et tout ce qui s'étend entre elles. Pour moi tout est Brahman et je trouve le Divin partout. Tout le monde a le droit de rejeter ce monde-ci et de choisir l'autre seulement, et si ce choix lui apporte la paix c'est une grande bénédiction pour lui. Personnellement je n'ai pas trouvé nécessaire de faire ce choix pour avoir la paix. Dans mon yoga aussi je me suis trouvé amené à inclure les deux mondes dans ma perspective — le spirituel et le matériel — et à essayer d'établir la Conscience divine et le pouvoir divin dans les cœurs des hommes et la vie terrestre, non pour un salut personnel seulement, mais pour une vie divine ici. Cela me semble un but tout aussi spirituel que n'importe quel autre et le fait que cette vie reprenne les quêtes terrestres et les choses terrestres dans sa sphère ne peut pas, je crois, ternir sa spiritualité ou altérer son caractère indien. Du moins telles ont toujours été mon opinion et mon expérience de la réalité de la nature du monde, des choses et du Divin; cela me semble aussi proche que possible de leur vérité intégrale, et j'ai par conséquent parlé de cette recherche comme du yoga intégral. Chacun est, évidemment, libre de rejeter ou de nier cette sorte d'intégralité, ou de croire à la nécessité spirituelle de se tourner entièrement et complètement vers l'autre monde, mais cela rendrait la pratique de mon yoga impossible. Mon yoga peut en effet inclure une expérience complète des autres mondes, du plan de l'Esprit suprême et des autres plans intermédiaires, et de leurs effets possibles sur notre vie et sur le monde matériel; mais il sera tout à fait possible de ne rechercher que la réalisation de l'Être suprême ou Îshwara, même sous un seul aspect, Shiva, Krishna, comme Seigneur du monde et Maître de nousmêmes et de nos œuvres, ou encore comme Satchidânanda universel, et d'atteindre les résultats essentiels de ce yoga, et ensuite de poursuivre de là jusqu'au résultat intégral si on accepte l'idéal de la vie divine et de la conquête de ce monde matériel par l'Esprit. C'est cette vision et cette expérience des choses et de la vérité de l'existence qui m'ont permis d'écrire La Vie Divine et Savitri. La réalisation du Suprême, de l'Îshwara, est certainement l'essentiel; mais L'approcher avec amour, dévotion et bhakti, Le servir par ses œuvres et Le connaître, pas nécessairement par l'intellect, mais dans une expérience spirituelle, est également essentiel dans le sentier du yoga intégral. Si vous acceptez l'affirmation de K que ce sentier et aucun autre doit être votre sentier, c'est ce que vous devez atteindre et réaliser, et alors toute exclusive n'admettant que les autres mondes ne peut être votre voie. Je crois que vous êtes tout à fait capable d'atteindre ce but et de réaliser le Divin, et jamais je n'ai pu partager vos doutes constamment répétés sur vos capacités, et leur retour constant n'est pas une raison valable de croire qu'ils ne pourront jamais être surmontés. Ces retours persistants ont été le fait de nombreux sâdhak qui en ont finalement émergé et ont atteint le but; même la sâdhanâ de grands yogi n'a pas été exempte de ces retours violents et constants, ils ont quelquefois été l'objet spécial de ces assauts persistants, comme je l'ai bien indiqué dans Savitri, en plus d'un passage, et cela était en fait fondé sur ma propre expérience. Dans la nature de ces répétitions il y a habituellement un retour constant des mêmes expériences adverses, la même résistance adverse, les mêmes pensées destructrices de toute croyance, de toute foi, de toute confiance dans l'avenir de la sâdhanâ, des mêmes doutes désespérants sur ce qu'on a connu de la vérité, des injonctions à abandonner le yoga ou d'autres conseils désastreux de déchéance.12 Le cours pris par les attaques n'est pas vraiment le même pour tous, mais elles ont pourtant un net air de famille. On peut à la longue les surmonter si on commence à réaliser la nature et la source de ces assauts et acquérir la faculté de les observer, de les supporter, sans être atteint par eux ni absorbé dans leur abîme, en devenant finalement le témoin de leurs phénomènes, en les comprenant, et en refusant l'acquiescement du mental, même quand le vital est encore cahoté par les tourbillons et que le mental physique le plus extérieur reflète encore les suggestions adverses. À la fin, ces attaques perdent leur pouvoir et tombent de la nature; leur retour s'affaiblit ou n'a plus le pouvoir de durer; et même, si le détachement est assez fort, elles peuvent être arrêtées très vite ou immédiatement. La plus forte attitude que l'on puisse prendre est de considérer ces attaques pour ce qu'elles sont: des incursions des forces obscures de l'extérieur profitant de certaines ouvertures dans le mental physique ou la partie vitale, mais ne faisant pas vraiment partie de soi ou n'étant pas une création spontanée de sa propre nature. Créer une confusion et une obscurité dans le mental physique et y jeter ou y éveiller des idées erronées, de sombres pensées, de fausses impressions, est une des méthodes préférées de ces assaillants, et s'ils peuvent obtenir le renfort du mental grâce à sa confiance exagérée en sa propre justesse ou en la rectitude naturelle de ses impressions et de ses déductions, alors elles peuvent avoir leur jour de gloire jusqu'à ce que le vrai mental se réaffirme et disperse les nuages. Un autre de leurs tours consiste à éveiller une blessure ou un sens ulcérant de grief dans les parties vitales inférieures et à entretenir cette douleur ou cette irritation aussi longtemps que possible. Dans ce cas il faut découvrir ces ouvertures dans sa propre nature et apprendre à les fermer en permanence à ces attaques ou à expulser les intrus immédiatement ou le plus tôt possible. La récidive n'est pas la preuve d'une incapacité fondamentale; en prenant l'attitude intérieure juste, elle peut être et sera surmontée. Nous devons avoir foi en le Maître de notre vie et de nos œuvres, même si pendant longtemps il se cache, à son heure il révélera Sa présence.
Vous avez toujours cru au gourouvâda. Je vous demanderai donc de mettre votre foi en le gourou et en ses conseils, et de vous en remettre à l'Îshwara pour l'accomplissement, d'avoir foi en mon amour et mon affection immuables, en l'affection, en la bienveillance divine, en la bonté aimante de la Mère, de tenir bon contre toutes les attaques et d'avancer avec persévérance vers le But spirituel et vers la main qui accomplit tout, qui exauce tout, de Celui qui est TouteBéatitude, de l'Îshwara.
28.04.1949
 
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Je vous envoie aujourd'hui la lettre promise; vous verrez que c'est moins une réponse aux termes précis de votre lettre qu'une “défense de l'évangile de la divinisation de la vie” contre les réserves et les incompréhensions de la mentalité (ou plus souvent de la vitalité) qui ou bien comprend mal, ou bien recule devant lui — ou peut-être comprend mal parce qu'elle recule et recule aussi parce qu'elle comprend mal à la fois ma méthode et mon but. Ce n'est pas une défense complète, mais elle soulève un point capital ici ou là ou y répond. Le reste viendra plus tard.
Mais tout langage prête à un malentendu; c'est pourquoi, en envoyant cette lettre, il vaudrait mieux que j'éclaircisse ou que je tente d'éclaircir certains points.
Si j'ai mis l'accent sur les choses divines en réponse à une insistance excessive (parce qu'elle était contradictoire) sur les choses humaines, il ne faut pas comprendre que je rejette tout ce qui est humain — l'amour humain, l'adoration humaine ou toutes sortes d'aides salutaires qu'apporte une démarche humaine en tant que partie du yoga. Jamais je ne l'ai fait, sinon l'Ashram ne pourrait pas exister. Les sâdhak qui entreprennent le yoga sont des êtres humains et si une démarche humaine ne leur était pas permise au début et longtemps encore, ils ne seraient pas capables de commencer le yoga ni de le poursuivre. La discussion n'a lieu que parce que le mot “humain” est employé dans la pratique non seulement comme synonyme du vital humain (et du mental extérieur), mais aussi de certaines formes de la nature vitale humaine de l'ego. Mais le vital humain contient bien d'autres choses et est plein d'excellents matériaux. Tout ce que demande le yoga est que ces matériaux soient utilisés d'une manière juste et avec l'attitude spirituelle juste, et aussi que la manière humaine de se rapprocher du Divin ne tourne pas constamment à la révolte humaine et au reproche humain contre lui. Et cela, nous le demandons seulement pour la réussite de ce rapprochement lui-même et de l'être humain qui s'y consacre.
La divinisation elle-même ne signifie pas la destruction des éléments humains; elle consiste à les reprendre, à leur montrer la voie vers leur propre perfection, à les élever par la purification et la perfection à la plénitude de leur pouvoir et de leur Ânanda, et cela revient à élever toute la vie terrestre à la plénitude de son pouvoir et de son Ânanda.
S'il n'y avait pas de résistance dans la nature vitale humaine, pas de pression de forces ennemies du changement, forces qui se complaisent à l'imperfection et même à la perversion, ce changement s'effectuerait sans difficulté par un épanouissement naturel et indolore; comme, par exemple, vos propres pouvoirs de poésie et de musique se sont épanouis ici avec rapidité et aisance sous la lumière et la pluie d'une influence spirituelle et psychique — parce que tout en vous désirait ce changement et que votre vital voulait bien reconnaître les imperfections, rejeter toute attitude erronée (comme le désir de la seule renommée) et être consacré et parfait. La divinisation de la vie signifie, en fait, un plus grand art de vivre; car l'art de vivre actuel, produit de l'ego et de l'ignorance, est quelque chose de comparativement mesquin, grossier et imparfait (comme les formes inférieures d'art, de musique et de littérature qui sont pourtant plus séduisantes pour le mental et le vital humains ordinaires), et c'est par une ouverture et un raffinement spirituels et psychiques qu'il doit atteindre sa vraie perfection. Il ne peut le faire qu'en se plongeant dans la Lumière et la Flamme du Divin dans lesquelles ses matériaux seront dépouillés de toutes leurs lourdes scories et deviendront le métal vrai.
Malheureusement la résistance existe, une résistance très obscure et obstinée. Cela rend nécessaire un élément négatif dans le yoga, un élément de rejet de ce qui barre la route, et de pression sur ces formes qui sont grossières et inutiles, pour qu'elles disparaissent, sur celles qui sont utiles mais imparfaites ou ont été perverties pour qu'elles conservent ou retrouvent leur vrai mouvement. Pour le vital cette pression est douloureuse, d'abord parce qu'il est obscur et ne comprend pas, et ensuite parce qu'il y a en lui des parties qui veulent être laissées à leurs mouvements grossiers et ne pas changer. C'est pourquoi l'intervention d'une attitude psychique est si salutaire. Car la confiance du psychique est heureuse, sa compréhension et sa réponse rapides, sa consécration spontanée; il sait que la main du gourou est là pour aider et non pour blesser, ou, comme Râdhâ dans le poème, que tout ce que fait l'Aimé est fait pour mener au Ravissement divin.
En même temps, ce n'est pas par la partie négative du mouvement que vous devez juger le yoga, mais par son côté positif; car la partie négative est temporaire et transitoire et disparaîtra, seule la partie positive compte pour l'idéal et pour l'avenir. Si vous prenez des conditions qui appartiennent au côté négatif et à un mouvement transitoire pour la loi de l'avenir et l'indication du caractère du yoga, vous commettez une sérieuse erreur de jugement, une faute grave. Notre yoga n'est pas un rejet de la vie ou du contact et de l'intimité du Divin avec les sâdhak. Son idéal vise à un contact plus étroit, à une plus grande unité sur le plan physique comme sur les autres plans, à la largeur, la plénitude et la joie de vivre les plus divines.
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Sri Aurobindo n'a aucune remarque13 à faire sur les commentaires de Huxley avec lesquels il est en complet accord. Mais dans la phrase “ces sommets, nous pouvons toujours les atteindre”, bien évidemment “nous” ne désigne pas l'humanité en général mais ceux qui ont suffisamment élaboré une vie intérieure spirituelle. Il est probable que Sri Aurobindo pensait à sa propre expérience. Après trois années d'effort spirituel avec de faibles résultats un yogi lui montra la manière de faire taire le mental. Il y réussit complètement en deux ou trois jours en suivant la méthode indiquée. C'était un silence complet de la pensée et des sentiments et de tous les mouvements ordinaires de conscience, excepté la perception et la reconnaissance des objets environnants, sans aucun concept, aucune réaction concomitants. Le sens de l'ego disparut et les mouvements de la vie ordinaire aussi bien que la parole et l'action se poursuivaient par une activité habituelle de la seule Prakriti qu'il ne ressentait pas comme appartenant à luimême. Mais la perception qui restait voyait toutes choses comme totalement irréelles; ce sens de l'irréalité était envahissant et universel. Seule une indéfinissable Réalité était perçue comme vraie, qui était au-delà de l'espace et du temps et sans lien avec aucune activité cosmique, mais que cependant on rencontrait où que l'on se tourne. Cette condition demeura intacte pendant plusieurs mois et même quand le sens de l'irréalité disparut et qu'il y eut un retour de la participation à la conscience du monde, la paix intérieure et la liberté qui résultaient de cette réalisation demeurèrent en permanence derrière tous les mouvements de surface et l'essence de la réalisation elle-même ne fut pas perdue. En même temps une expérience se produisit: quelque chose d'autre que lui-même reprit son activité dynamique, parla et agit à travers lui, mais sans aucune pensée ni initiative personnelles. Ce que c'était demeura inconnu à Sri Aurobindo jusqu'à ce qu'il réalise le côté dynamique du Brahman, l'Îshwara, et qu'il se sente mu lui-même par cela dans toute sa sâdhanâ et toute son action. Ces réalisations et d'autres qui lui succédèrent, comme celle du Moi en tout et de tout dans le Moi, du Divin en tout et de tout dans le Divin, sont les sommets auxquels Sri Aurobindo se réfère et auxquels il dit que nous pouvons toujours atteindre; car ils n'ont présenté pour lui aucune difficulté durable ou obstinée. La seule véritable difficulté qui ne fut complètement surmontée qu'après des dizaines d'années d'effort spirituel fut l'application complète de la conscience spirituelle au monde et à la vie de surface, psychologique et extérieure, et sa transformation à la fois aux niveaux supérieurs de la Nature et aux niveaux inférieurs du mental, du vital et du physique, vers le bas jusqu'au subconscient et à l'Inconscience fondamentale, et vers le haut jusqu'à la Conscience-de-Vérité suprême ou Supramental dans lequel seule la transformation dynamique pourrait être totalement intégrale et absolue.
04.11.1946
 
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Je ne saisis pas, à travers ces extraits,14 la vraie nature de la transformation dont il est question ici. Elle semble être quelque chose de mental et de moral avec l'amour de Dieu et une certaine sorte d'union dans la séparation amenée par cet amour divin comme élément spirituel.
L'amour de Dieu et l'union dans la séparation à travers cet amour, et une transformation de la nature par la réalisation de certaines possibilités mentales, éthiques, émotionnelles — peut-être même physiques (car les vishnouïte parlent d'un nouveau corps cinmaya) est le principe du yoga vishnouïte. Il n'y a donc rien ici qui ne soit déjà présent dans cette voie de mysticisme asiatique qui s'adresse à une Divinité personnelle et met l'accent sur la préexistence étemelle et la survie de l'être individuel. Une ascension spirituelle de la nature Jusqu'à ses plus hautes possibilités fait partie de la discipline tantrique ainsi cela non plus n'est pas absent du yoga indien. L'auteur semble, comme beaucoup d'écrivains européens, ne connaître que l'Illusionnisme et le bouddhisme et les accepter comme la totalité de la sagesse asiatique; mais là même il interprète mal leur idée et leur expérience. Même l'Adwaïta dans ses formes extrêmes ne vise pas à l'extinction de l'existence, à l'acceptation du néant, à la fin de l'être et à la destruction de l'essence. Seule une certaine sorte de bouddhisme nihiliste vise à cela et même dans ce cas, ce Néant, Shoûnya, est décrit par ailleurs comme le Permanent. Le but de ces disciplines est de passer du Temps à l'Éternité, de se dépouiller du fini pour se revêtir de l'Infini, de jeter les liens de l'ego et ses conséquences, désir, souffrance, existence factice, pour vivre dans le vrai Moi. Ces descriptions de l'écrivain chrétien trahissent une ignorance complète de la réalisation qu'il dénigre, son infinité, sa liberté, sa paix souveraine, l'extase du Brahmânanda. C'est une extinction de la personnalité individuelle limitée, mais une libération dans la conscience cosmique et ensuite dans la conscience transcendante —, une extinction de la pensée et de la vie mais une libération dans une conscience, une connaissance, un être illimités. La personnalité s'éteint mais dans quelque chose de plus grand qu'elle, non dans quelque chose de moindre ni dans le “Néant”. Si l'on dit que cela nie la vie terrestre, l'idéal chrétien en fait autant, car l'idéal chrétien vise à atteindre une existence céleste au-delà de l'existence terrestre (au-delà de cette unique vie terrestre, car la réincarnation n'est pas admise) qui n'est qu'une vallée de larmes et une épreuve passagère. Il insiste sur la préservation de la personnalité spirituelle, mais le vishnouïsme, le shivaïsme et d'autres idéaux “asiatiques” le font aussi. L'ignorance de l'auteur des différentes facettes de la sagesse asiatique ôte toute valeur à son dénigrement.
Les phrases qui vous ont frappées comme ressemblant superficiellement au moins à notre idéal de transformation sont d'un caractère général et pourraient être adoptées sans hésitation par presque toutes les disciplines spirituelles; même l'Illusionnisme serait prêt à l'inclure comme une étape ou une expérience sur le chemin. Tout dépend du contenu que vous mettez dans les mots, quel changement dans la conscience et la vie ils entendent couvrir. Si la transformation va “du péché à la sainteté” par l'union de l'âme avec Dieu “comme une lumière intellectuelle pleine d'amour” — ce qui en est la description la plus précise de ces extraits — alors ce n'est pas du tout identique, mais plutôt très éloigné de ce que j'entends par transformation. Car la transformation à laquelle je vise ne va pas du péché à la sainteté, mais de la nature inférieure de l'Ignorance à la Nature divine de Lumière, de Paix, de Vérité, de Pouvoir divin et de Béatitude au-delà de l'Ignorance. Elle chemine vers un bien suprême existant en soi et laisse derrière elle les conceptions humaines limitées et antagonistes de péché et de vertu; ce n'est pas une lumière intellectuelle qui est le soleil de son aspiration mais une lumière spirituelle supra-intellectuelle supramentale; ce n'est pas la sainteté qui est son sommet mais la conscience divine — ou si vous préférez, une condition d'âme, une condition d'esprit, une condition de moi conscient, une condition divine. Il y a donc entre ces deux sortes ou degrés de transformation une immense différence.
I. “C'est un abandon héroïque où l'âme parvient au sommet de l'activité libre, où la personne se transforme, où ses facultés sont épurées, déifiées par la grâce, sans que son essence soit détruite.”
 
Que veut-il dire par activité libre? Pour nous la liberté consiste à être libéré de l'obscurité, de la limitation, de l'erreur, de la souffrance, du caractère transitoire de la Nature inférieure ignorante, mais aussi en une soumission totale au Divin. L'action libre est l'action du Divin en nous et à travers nous; aucune autre action ne peut être libre. Cela semble être accepté en II et en III; mais cette perception, cette conception est aussi vieille que la connaissance spirituelle elle-même; elle n'est pas particulière au catholicisme. Que veut-il dire aussi par la purification et la déification des facultés par la Grâce? Si c'est une purification éthique, cela ne va pas très loin et n'apporte pas la déification. Et encore, si la déification est limitée par la lumière intellectuelle, ce doit être au mieux une assez piètre affaire. L'antique spiritualité indienne avait un but similaire, mais avec plus d'envergure et une plus grande envolée que cela. Aucune discipline spirituelle ne vise à la purification ou à la déification par la destruction de l'essence — il ne peut rien y avoir de tel, la phrase même est sans signification et se contredit elle-même. L'essence de l'être est indesctructible. Même la discipline Adwaïta la plus rigide ne vise pas à une telle destruction; son objet est la plus pure pureté du moi essentiel. La transformation vise à cette pureté essentielle du pur Esprit, mais elle demande aussi la pureté et la divinité de la Nature suprême; ce n'est pas l'essence de l'être mais les accidents de notre nature imparfaite et non développée qui sont détruits et remplacés par la manifestation de la Nature divine. L'Adwaïta moniste vise à la disparition de l'ego, non de l'essence de la personne; il arrive à cette disparition par identité avec l'Un, par la dissolution de l'ego construit par la Nature dans la réalité du Moi étemel, car cela, dit-il, et non l'ego, est l'essence de la personne — so'ham, ta. Dans notre idée de la transformation aussi il y a la destruction de l'ego, sa dissolution dans la conscience cosmique et divine, mais par cette destruction nous recouvrons la personne vraie et spirituelle qui est une portion étemelle du Divin.
II. “La contemplation du chrétien est inséparable de l'état de Grâce15 et de la vie divine. S'il doit s'anéantir, c'est encore sa personnalité qui triomphe en se laissant arracher à tout ce qui n'est pas elle, en brisant tous les liens qui l'unissent à son individu de chair, afin que le Dieu vivant puisse s'en saisir, l'assumer, l'habiter.”
 
III. “La liberté consiste d'abord à subordonner ce qui est inférieur dans sa nature à ce qui lui est supérieur.”
 
Ces passages peuvent être compris dans le sens indiqué plus haut et comme se rapprochant de notre idéal; mais la confusion ici réside dans l'usage du mot “personnalité”. La personnalité est une formation temporaire et la rendre éternelle serait rendre éternelles l'ignorance et la limitation. Le vrai “je” n'est pas l'ego mental ou la personnalité actuelle qui n'est qu'un masque, mais le “je” étemel qui revêt diverses personnalités dans diverses vies. La conception chrétienne et européenne d'une seule vie sur terre tend à introduire cette erreur en faisant apparaître notre personnalité actuelle comme si elle était la totalité de notre moi.. . Là encore, l'ignorance ne nous lie pas seulement à l'individualité corporelle, mais aussi à l'individualité mentale et à l'individualité vitale. Tous ces liens doivent être brisés, les formes imparfaites du mental et de la vie transcendées, le mental transformé en quelque chose au-delà du mental, la vie en une vie divine, si la transformation doit être réelle et ne pas être seulement un nouveau modelage ou une exaltation des lumières de l'Ignorance.
IV. “Cette solitude de l'âme (de l'ascète asiatique)... n'est pas le vrai loisir spirituel, la solitude active où s'opère la transformation du péché en sainteté par l'union de l'âme avec Dieu dans une lumière intellectuelle toute pleine d'amour.”
 
J'ai déjà commenté cette description de la transformation à effectuer et n'ai qu'une reserve de plus à ajouter. La solitude du moi dans le Divin doit sans aucun doute être active autant que passive et statique; mais nul ne peut avoir l'activité libre et intégrale de la Nature divine supérieure s'il n'est pas arrivé au silence et à la solitude immobile du Moi étemel. Car l'action se fonde sur le silence et par le silence elle est libre.
V. “...la vie chrétienne — mystique, progressive — qui est un enrichissement, un élargissement de la personne humaine.”
 
Cela n'est pas notre idée de la transformation — car la personne humaine est l'être mental limité par la vie et le corps. Son enrichissement et son élargissement ne peuvent aller au-delà de l'extrême limite de cette formule, elle ne peut qu'élargir et orner sa pauvreté et son étroitesse présentes. Elle ne peut s'élever hors de l'ignorance mentale dans une Vérité et une Lumière plus grandes ni faire descendre cela avec une quelconque plénitude dans la nature terrestre, ce qui est le but de la transformation telle que nous la concevons.
VI. “Pour l'asiatique la personnalité est la chute de l'homme; pour le chrétien, c'est le dessein même de Dieu, le principe de l'union, le sommet naturel de la création, qu'il appelle tout entière à la Grâce.”
 
La personnalité de cette vie unique en l'homme est une formation dans l'ignorance, donc une chute; elle ne peut être le sommet de l'être. Nous n'admettons pas non plus qu'elle soit le sommet de la création naturelle, mais nous disons qu'il y a des sommets plus hauts que nous devons gravir et dont nous devons révéler les pouvoirs dans la nature terrestre. La création naturelle est une évolution, dans la Nature qui est d'abord limitée et déguisée par l'Ignorance, de la Conscience divine cachée. Elle doit encore se hisser hors de l'Ignorance — et par conséquent aller au-delà de la personne humaine dans la personne divine. C'est dans cette évolution spirituelle que le Plan divin (“dessein de Dieu”16) manifeste sa ligne centrale et significative et appelle toute la création au couronnement de la Grâce.
Vous voyez par conséquent que la ressemblance de la transformation dont il est question ici avec notre idéal est purement de surface, dans les mots, mais non dans le contenu des mots qui est beaucoup plus étroit et d'un ordre différent. Dans la mesure où il y a accord et coïncidence, c'est parce que ce qu'ils contiennent est commun (une certaine conversion de la conscience) à toutes les disciplines spirituelles; car toutes, en Orient comme en Occident, ont un noyau commun d'expérience — c'est dans leurs développements, leur portée, leur orientation vers l'un ou l'autre aspect ou encore leur volonté vers la totalité de la Vérité qu'elles diffèrent.
*
 
173
Il n'y a pas de lien entre la conception chrétienne (du Royaume des Cieux) et l'idée de la descente supramentale. La conception chrétienne suppose un état de choses amené par l'émotion religieuse et la purification morale; mais ces choses ne sont pas plus capables de changer le monde, quelque valeur qu'elles puissent avoir pour l'individu, que l'idéalisme mental ou tout autre pouvoir auquel il a été jusqu'à présent fait appel à cette fin. Le chrétien propose de substituer l'ego religieux sattwique à l'ego radjasique et tamasique, mais bien que cette substitution puisse être accomplie par l'individu, elle n'a jamais réussi et ne réussira jamais à s'accomplir dans la masse. Elle n'a derrière elle aucune connaissance supérieure, spirituelle ou psychologique, et ignore les bases du caractère humain et la source de la difficulté — la dualité du mental, de la vie et du corps. À moins d'une descente d'un nouveau Pouvoir de Conscience, non sujet aux dualités mais encore dynamique, qui apportera une fondation nouvelle et une élévation du centre de conscience au-dessus du mental, le Royaume de Dieu sur terre ne peut être qu'un idéal, non un fait réalisé d'une manière générale dans la conscience terrestre et dans la vie terrestre.
 
 
1 “Maya ne signifie rien d'autre que la liberté du Brahman découlant des circonstances à travers lesquelles il s'exprime.” (Sri Aurobindo, Thé Yoga and Its Objects, Édition du Centenaire, Vol. XVI, p. 429.)
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2 Revue philosophique dirigée par Sri Aurobindo dans les années 1916-1921.
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3 En fait ce n'est pas une illusion au sens d'une pression sur la conscience de quelque chose qui est sans fondement et irréel, mais une fausse interprétation du mental conscient et des sens et un mauvais usage trompeur de l'existence manifestée. (Note de Sri Aurobindo.)
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4 “Car derrière le sad ātman est le silence de asat que les bouddhistes nihilistes réalisaient comme le śūnyam, et au-delà de ce silence est le parātpara puruṣa (puruṣo vareṇya ādityavarṇas tamasaḥ parastāt). ” (Sri Aurobindo, Thé Yoga and Its Objects, Édition du Centenaire, Vol. XVI, p. 416.)
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5 “Les Grands Êtres... renoncent à leur droit de passer au-delà vers une Évolution plus haute encore et restent dans le Cosmos pour le bien de tous les êtres sensibles... Ce sont ces Forces bôdhiques... qui mènent l'humanité... vers un ordre social perfectionné sur la Terre”. (Yoga tibétain et doctrines secrètes, Dr. W.Y. Evans-Wentz.)
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6 “Ainsi la doctrine de la shoûnyata qui soutient tout le Prajnâ-Paramitâ... pose en principe... un Absolu comme inhérent au phénomène, car l'Absolu est la source et le support du phénomène... et, en dernière analyse des choses, par le Mental illuminé par Bôdhi, libéré de l'Ignorance, la dualité disparaît et il ne reste que l'Un en Tout, le Tout en Un.” (Yoga tibétain et doctrines secrètes, Dr. W.Y. Evans-Wentz.)
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7 “Un principe impersonnel, représentation microcosmique du macrocosme, persiste à travers toutes les existences, ou tous les états de l'être conditionné dans le samsara... Mais le principe de la conscience impersonnelle ne doit en aucune manière être identifié à la personnalité représentée par un nom, ou une forme corporelle ou un mental Samsârique ... Il est lui-même non-Samsârique, étant incréé, inné, sans forme, au-delà du concept humain et de la définition humaine, et par conséquent transcende le temps et l'espace... Il est sans commencement ni fin ” (Ibid.)
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8 “Par le Moi délivre le moi” (Guîtâ, chant VI, 5); et “Abandonne tous les dharma” (Ibid., chant XVIII, 66).
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9 Sur la traduction du mot anglais surrender. Mère a donné l'explication suivante:
...entre les mots “surrender” et “offrande” il n'y a guère de différence. Mais le mot français “soumission” donne l'impression de quelque chose de Plus passif: on accepte; tandis que l'offrande est un don — un don volontaire.... “Consécration” a généralement un sens plus mystique, mais ce “est pas absolu. Une consécration totale signifie un don total de son être; c est donc l'équivalent du mot ‘surrender’, non du mot ‘soumission’, qui donne toujours l'impression que l'on ‘accepte’ d'une façon passive. On nt une flamme dans le mot ‘consécration’, une flamme plus grande même que dans le mot ‘offrande’. Se consacrer, c'est ‘se donner à une action’; donc au sens yoguique, c'est se donner à une œuvre divine avec 'dée d'accomplir l'œuvre divine.” (Entretien du 22 février 1951.)
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10 Les Bases du Yoga.
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11 Yogaścittavṛttinirodhaḥ
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12 En français dans le texte.
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13 Ces remarques ont été dictées par Sri Aurobindo à propos de la phrase “to its heights we can aiways reach” qui apparaît dans le passage suivant de La Vie Divine, cité et commenté par Aldous Huxley dans son livre. Thé Perennial Philosophy (édition 1946, p. 74): “Le contact de la Terre redonne toujours vigueur au fils de la Terre, même quand ce qu'il cherche est une Connaissance supraphysique. On peut même dire que le supraphysique ne peut être réellement conquis en sa plénitude — à ses sommets on peut toujours atteindre — que si l'on garde les pieds fermement appuyés sur le physique. ”Son pied est sur la terre“, dit l'Oupanishad chaque fois qu'elle représente par une image le Moi qui se manifeste dans l'univers.” (Chapitre II, Partie 1, Édition du Centenaire, Vol. 18, p. 149).
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14 De La Défense de l'Occident, de Henri Massis.
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15 La Grâce n'est pas une conception particulière à l'idée spirituelle chrétienne — elle est dans le vishnouïsme, le shivaïsme, la religion de la Shakti — elle est aussi ancienne que les Oupanishad. (Note de Sri Aurobindo)
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16 En français dans le texte.
L e Tripuràrahasya ou Doctrine secrète de (la Déesse) Tripurà - on 
pourrait dire aussi : « Mystère de la Déesse... » - occupe une place à part à 
l'intérieur du corpus des textes mystico-philosophiques de l'Inde médiévale. 
D'un côté, le nombre, la diversité de provenance géographique (Bénarès, 
Bengale, Mysore...), le haut degré de concordance des manuscrits dans 
lesquels il nous a été transmis témoignent de la popularité dont il a joui à 
travers les siècles, au moins dans le cadre de certaines écoles ou traditions 
religieuses particulières. On est d'autant plus surpris de constater à quel point 
il a laissé peu de traces dans les courants spirituels postérieurs auxquels son 
contenu semblerait devoir l'apparenter : à ce jour, aucun chercheur ne paraît 
avoir exhumé la moindre citation littérale ou même la moindre référence à un 
passage précis de ce texte. Pour le situer dans le temps et dans le concert des 
doctrines, on ne dispose, au total, que de maigres indices. 
 
Le premier de ces indices se tire du titre même de l'œuvre. Tripurà, forme 
abrégée de Tripurasundarâ, est en effet l'un des noms de la Déesse. Cela nous 
incite immédiatement à rattacher le Tripuràrahasya au Çâktisme, c'est-à-dire à 
ce courant religieux particulier qui, à l'intérieur du Tantrismé, privilégie 
l'aspect féminin du Divin ou de l'Absolu-. Certes, étant donné que le Çâktisme 
(comme le Tantrisme) n'existe qu'éparpillé en d'innombrables sectes et 
traditions ésotériques, une telle hypothèse, d'ailleurs amplement confirmée par 
l'examen du contenu du texte, ne nous mène pas encore bien loin. Nous 
pouvons cependant la préciser quelque peu à l'aide des connotations liées au 
nom même de Tripurasundarâ ou « Belle dans la triple cité ». Cette expression 
renvoie tout d'abord à l'antique tripartition védique du monde en Ciel, Terre et 
Espace intermédiaire. Elle évoque aussi immédiatement la figure de Siva, et 
cela à travers les mythes qui montrent les démons (asura) expulsant les dieux 
du cosmos et s'y retranchant comme dans une citadelle à trois étages : seul 
Siva, en incendiant le monde à l'aide du feu émané de l'œil central de son 
front, s'avère capable de les en déloger. D'où les très nombreux noms de Siva 
- du type Tripurântaka - qui le présentent comme le « destructeur de la triple 
cité ». A partir de là, la conscience religieuse hindoue établit - à tort ou à 
 
 
raison - un rapport entre Siva et Tripurâ, peut-être en ce sens qu'elle perçoit 
Tripurâ comme celle dont la beauté et la puissance rayonnent dans la triple 
cité cosmique, une fois celle-ci restaurée dans sa splendeur originelle après le 
passage du feu purificateur de Siva. Quoi qu'il en soit, il apparaîtra vite que le 
Tripurârahasya se situe, au moins en partie, dans la mouvance doctrinale du 
Çivaïsme-. 
 
La « Section de la Connaissance » (Jnânakhanda), seule traduite ici, 
s'insère dans un ensemble plus vaste où elle est précédée par la « Section de 
la Célébration (de la Déesse) » ou Mâbâmyakhanda-, et suivie par la « 
Section (donnant les règles) de la conduite » ou Caryakhanda. Cette trilogie 
est censée ainsi comporter 12 000 distiques (sloka). Dans les versions 
actuellement disponibles, 1 q Mâbâtmyakhanda comprend exactement 6 666 
distiques répartis en 80 chapitres et \q Jnânakhanda 2 163 distiques répartis 
en 22 chapitres. Le Caryakhanda - qui n'a pas encore été retrouvé et qui est 
peut-être même définitivement perdu - devait donc comporter environ 3 000 
distiques -. 
 
L e Tripurârahasya se singularise encore au sein de la vaste littérature 
tantrique ou çâktique en ce qu'il ne se présente pas sous la forme usuelle d'un 
dialogue entre le Seigneur Suprême et la Déesse, sa Parèdre, mais sous celle 
d'une discussion, entrecoupée de récits, entre un maître humain, Dattàtreya, et 
son disciple, Parasuràma. Bien entendu, cela ne nous renseigne en rien sur 
l'identité véritable de l'auteur du texte car Dattàtreya et Parasuràma sont, l'un 
comme l'autre, de pures figures mythologiques, au demeurant très célèbres. Les 
premiers chapitres du Màhâtmyakhanda contiennent cependant quelques 
indications intéressantes à cet égard. Ils nous apprennent, en autres choses, que 
la Section de la Connaissance avait à l'origine, sous le nom d q Datta- ou 
Daksinâmürti-samhitâ, constitué une oeuvre indépendante, et de vastes 
dimensions (18 000 distiques !). Son auteur n'était autre que Dattàtreya lui- 
même. Ensuite, Parasuràma, son ancien disciple, aurait, à l'intention de ses 
propres disciples, condensé le texte en 6 000 aphorismes mnémoniques (sütra) 
répartis en 50 chapitres. Plus tard encore, Sumedhà Haritayana, éminent 
disciple de Parasuràma, aurait fondu ensemble les 18 000 distiques de 
Dattàtreya et les 6 000 sütra de Parasuràma, amenant le texte à ses dimensions 
actuelles et le présentant sous la forme d'un dialogue suivi entre Dattàtreya et 
Parasuràma. Le caractère quelque peu conflictuel de ce processus (Haritàyana 
revenant en partie au texte de Dattàtreya) pourrait refléter une certaine réalité 
historique. Il n'est donc pas tout à fait impossible qu'Haritàyana ait existé et 
 
 
soit le véritable auteur du Tripurârahasya, encore que le récit-cadre - qui le 
montre en conversation avec Nârada, le messager des dieux - permette de 
nourrir un certain scepticisme à l'égard de cette hypothèse. 
 
D'ailleurs, tiendrait-on pour certaine la réalité historique d’Haritâyana, 
qu'on ne serait pas pour cela davantage en mesure de déterminer avec quelque 
précision la date de rédaction du Tripurârahasya. Ici se conjuguent pour nous 
en empêcher l'indifférence indienne bien connue aux dates et aux données 
biographiques en général, la rareté relative des textes tantriques et çâktiques 
édités à ce jour et l'isolement du Tripurârahasya à l'intérieur de cette 
littérature même. On a déjà signalé l'inexistence - au moins selon l'état actuel 
de nos connaissances - de toute référence précise au texte du Tripurârahazya 
dans la littérature tantrique et çâktique. Le titre même de l'œuvre n'est jamais 
cité. Peut-être-est-il, en tant que tel, très tardif. Quelques Tantra, en revanche, 
font mention du titre (originel ?) Daksinâmürti-samhita. Malheureusement, ils 
sont eux-mêmes difficiles à dater ou tardifs. C'est le cas de l'Àn andalaharï 
attribuée (à tort) à Sankara ou du Tantrasâra (à ne pas confondre avec le traité 
du même nom rédigé par Abhinavagupta, le grand philosophe du Çivaïme 
cachemirien, vers l'an 1000 de notre ère). C'est aussi le cas du 
Vâmakesvarïmata lequel, de surcroît, paraît mettre notre texte sur le même 
plan que des Tantra notoirement tardifs comme le Kulârnava ou le Parânanda 
(XVI e siècle ?) -. En revanche, compte tenu de la sûreté avec lequel il manie 
les catégories philosophiques du Çivaïsme cachemirien, le Tripurârahasya ne 
semble pas pouvoir remonter plus haut que la fin du X e siècle de notre ère. De 
l'an 1000 à l'an 1600 environ, la marge d'incertitude demeure donc très grande. 
Une meilleure connaissance de la littérature çâktique et tantrique, dans son 
ensemble, permettra peut-être un jour de la réduire sensiblement. 
 
 
Le texte sanskrit de la Section de la Connaissance a été publié pour la 
première fois en 1894, à Belgaum (Mysore). Actuellement, deux éditions sont 
disponibles, l'une par le Swami Sanatana Dev Maharaj-, l'autre par Gopinath 
Kaviraj V La correction des manuscrits existants fait qu'elles ne se 
différencient que par d'infimes variantes. Il existe également une traduction en 
langue anglaise, œuvre de A.U. Vasavada-. 
 
 
ANALYSE PHILOSOPHIQUE 
 
 
Les difficultés auxquelles on se heurte lorsque l'on cherche à situer le 
Tripurârahasya dans l'histoire des sectes et l'évolution des doctrines ne sont, 
en réalité, ni fortuites ni dépourvues de toute contrepartie positive. Très vite, 
en effet, l'analyse du contenu de cet écrit révèle qu'on se trouve confronté à une 
oeuvre proprement inclassable. Sans doute y perçoit-on partout une certaine 
coloration çâktique ainsi que l'influence diffuse, décelable surtout au niveau du 
vocabulaire et des catégories philosophiques, du Çivaïsme cachemirien. Mais 
les traits originaux de ces doctrines - leur cosmologie, leur « physiologie 
mystique » (avec les cakra, les nâdï, la kundalinï ...), leur ritualisme sexuel, 
leur culte des mantra, etc. - ne se retrouvent qu'à l'état de traces dans le 
Tripurârahasya -. En revanche, le texte fait la plus large place à ceux des 
thèmes tantriques ou çâktiques qui - comme la « participation d'amour » 
(bhakti) ou le recueillement yoguique ( samàdhi ) - ont leur équivalent dans le 
brahmanisme orthodoxe. 
 
Sommes-nous donc en présence de l'un de ces écrits paresseusement 
syncrétistes que l'hindouisme philosophique, au déclin de sa puissance 
créatrice, a produit en abondance à partir du XV e ou XVI e siècle de notre ère ? 
Non, car on ne cherche pas ici à concilier des thèses opposées, à gommer des 
divergences doctrinales, à dégager une voie moyenne. Au contraire, le 
Tripuràhasya, témoignant en cela de l'esprit le plus authentique du tantrisme, 
affiche un scepticisme résolu à l'égard de toute espèce de formulation 
théorique qui se voudrait définitive et exclusive. Aux théories, il oppose ce 
que la langue sanskrite désigne par le terme d q sàdhana, terme que nous 
traduisons tant bien que mal par « moyen de progression », « instrument de 
salut », « méthode de réalisation spirituelle », etc. En même temps, il n'a rien 
de commun avec ces manuels d'école, de caractère purement technique ou 
mnémotechnique, qui se contentent de rappeler les étapes d'une progression 
spirituelle stéréotypée et s'avèrent inutilisables, quelquefois même 
inintelligibles, en dehors de l'enseignement oral bien défini qu'ils sont destinés 
à accompagner. On le définirait plus justement comme le lieu d'une méditation, 
toujours reprise à nouveaux frais, sur l'écart qui se creuse et se recreuse sans 
cesse entre les théories métaphysiques, quelles qu'elles soient, et le cours 
ordinaire de la vie. Ce qui est proposé ici, ce n'est pas une voie nouvelle, une 
méthode inédite, un sàdhana particulier de plus, mais une réflexion au second 
degré sur les obstacles subtils, de caractère intellectuel ou existentiel, qui se 
dressent en face de toute espèce de sàdhana. Pourquoi la compréhension 
intellectuelle du vrai ne se prolonge-t-elle pas d'elle-même en Réalisation 
 
 
intuitive ? Quels préjugés, quels pièges du langage, quelles habitudes 
mentales, quels désirs inconscients sont-ils ici à l'œuvre pour l'en empêcher ? 
Comment déceler la présence de ces obstacles et comment les contourner ? 
\bilà les questions auxquelles, en dehors de tout souci d'orthodoxie, de toute 
appartenance sectaire étroite, le Tripuràrahasya s'efforce d'apporter des 
réponses. 
 
Nous sommes donc en présence d'un texte éminemment « pédagogique » 
dans lequel la forme dialoguée, loin de se réduire à un simple procédé 
d'exposition 11 , fait corps avec le contenu. Par là-même - et tout en restant 
solidement ancré dans l'univers mental caractéristique de l'Inde - le 
Tripurârahasya paraît plus directement accessible à des lecteurs occidentaux, 
plus « universel » que la plupart des textes indiens traitant des mêmes sujets. 
Ici, en effet, les difficultés soulevées par Parasuràma (le disciple) sont les 
nôtres, ses objections celles-là mêmes que nous formulerions spontanément. 
De plus, les anecdotes pittoresques et les récits édifiants, souvent emboîtés les 
uns dans les autres, auxquels Dattàtreya a recours pour illustrer ses 
démonstrations viennent encore accroître l'exceptionnelle lisibilité du texte. A 
partir de là, nous commençons aussi à entrevoir les raisons pour lesquelles cet 
écrit semble être demeuré à la fois bien connu et marginal : sa démarche 
originale l'installe dans une sorte de centre de gravité, de lieu géométrique des 
tendances principales de la spiritualité indienne traditionnelle, en même temps 
qu'elle l'empêche de coïncider avec la perspective particulière, d'épouser la 
dogmatique d'une quelconque école ou tradition sectaire, fut-elle de caractère 
tantrique. Aussi bien, convient-il de limiter la portée réelle des incertitudes 
qui continuent à planer sur l'origine du texte, son insertion dans l'évolution 
religieuse générale, etc. : elles ne concernent pas l'essentiel. C'est, au 
contraire, sur cet essentiel que nous voudrions maintenant attirer l'attention, 
étant bien entendu, par ailleurs, que le foisonnement et l'intrication des thèmes 
sont tels, dans cette Section de la Connaissance, qu'ils nous interdisent toute 
prétention à l'exhaustivité -. 
 
Le point de départ de la doctrine est l'identification de la suprême Déesse, 
Tripurâ, et du principe de conscience ou cittattva. Cette idée ne doit pas être 
prise dans le sens spiritualiste banal d'une simple analogie entre les esprits 
finis et l'Esprit infini, séparé d'eux par sa transcendance même. La nouveauté 
introduite par la Section de la Connaissance consiste précisément à dépasser 
ce qui, à la rigueur, pouvait passer pour le point de vue implicite du 
Màhàtmyakhanda : à un certain stade de son évolution spirituelle (c/. chap. II, 
 
 
p. 35) Parasuràma ne peut plus se contenter d'adresser à la Déesse un culte 
extérieur, aussi fervent soit-il, et d'attendre passivement que les « fruits » de 
cette dévotion lui tombent, pour ainsi dire, du ciel. Pour lui, entre le culte et 
ses résultats, le lien doit être « analytique » - donc susceptible d'être perçu 
intuitivement par tout un chacun - et non pas « synthétique » - c'est-à-dire 
déterminable uniquement sur la base d'une foi aveugle dans les textes sacrés. 
Ce mouvement vers l'intériorisation du culte aboutit logiquement à faire 
descendre la Déesse du ciel et à la poser comme immanente à la conscience 
même de son adorateur. Sa transcendance supposée se dévoilera alors comme 
la simple contrepartie de la mentalité dualiste avec laquelle on s'était d'abord 
tourné vers elle. Au chapitre XIX f« Consultation de la Déesse »), Tripurâ, en 
personne, proclamera qu'elle s'ouvre à son dévot et se rend proche de lui en 
fonction même du changement d'attitude par lequel celui-ci renonce à la 
chercher à l'extérieur. 
 
A partir de là, s'ouvre la possibilité d'une lecture « védântique » du texte. 
Le principe de conscience constitue, en effet, l'essence commune de la Déesse 
et de ses adorateurs. Mais, chez ces derniers, il ne se présente plus à l'état pur, 
défiguré qu'il est par toutes sortes de projections imaginaires : les objets 
réputés « extérieurs », l'image du corps, les fonctions sensorielles, les 
idéations..., bref, par ce que l'école de Çankara appelle upàdhi ou« conditions 
limitantes extrinsèques » (c/. n. 57). Le seul culte digne de la Déesse consiste 
alors en un effort de la part du méditant pour se dépouiller systématiquement 
de toutes ces pseudo-appartenances contingentes et individualisantes. A la 
limite, le méditant doit pouvoir entrer en coïncidence avec l'aperception pure, 
c'est-à-dire devenir absolument identique à Tripurâ elle-même, conformément 
à l'axiome védântique du tat tvam asi-. Ici ou là-, le texte entreprend de 
décrire la conscience pure comme une sorte de substratum permanent, dont la 
continuité ininterrompue et la perpétuelle identité à soi-même contrastent avec 
l'alternance des états de veille et de sommeil, l'hétérogénéité des perspectives 
individuelles et l'impermanence générale des vécus concrets. Caractéristique à 
cet égard est la méthode de tri que la princesse Hemalekhâ propose à son mari, 
le prince Hemacüda : « Efforce-toi d'éliminer systématiquement tout de qui en 
toi peut être appelé « mien ». Reconnais ensuite ce qui reste comme le Soi 
suprême » (p. 86). En suivant ce fil conducteur, Hemacüdda traverse alors des 
couches d'expérience de plus en plus profondes - mais qui restent toujours 
formées de « vécus » particuliers - jusqu'au moment où il se fond (ou croit se 
fondre) dans la conscience absolue. Toujours dans le même esprit - et presque 
 
 
dans les mêmes termes que Çankara- - Hemalekhà s'attache à faire 
comprendre à son mari combien il est absurde de prétendre démontrer 
l'existence (ou l'inexistence) de la conscience pure, parce que sa présence est 
déjà présupposée dans tout déploiement des moyens de connaissance, « parce 
qu'elle est l'âme de toute démonstration » (p. 90). 
 
Cette lecture est sans doute légitime et bien des passages la confirment qui 
proclament l'identité fondamentale de l'aperception pure et du brahman des 
Vedântins (identifié également au Siva des çivaîtes, à la s akti des çâktas, etc.). 
Et pourtant, à s'en tenir à elle, on passerait à côté de ce qui fait l'intérêt 
spécifique de cette Section de la Connaissance. La présence de la Déesse dans 
la conscience individuelle revêt en effet ici un caractère « dynamique », tout à 
fait irréductible à la paisible immanence du brahman vedântique à cette même 
conscience individuelle. Et cette différence s'exprime aussi bien sur le plan de 
l'analyse métaphysique que sur celui de la sotériologie. 
 
On peut dire, d'une manière générale, que là où les métaphysiques du 
Tantrisme marquent un certain « progrès » par rapport au Vedânta, elles le 
doivent à une analyse plus poussée du pouvoir de manifestation de la 
conscience. Un autre type de pensée s'affirme ici qui ne se contente plus de 
définir la conscience comme capacité d'« auto-éclairement » ( svayam - 
prakàsata) et la non-conscience comme capacité d'être (passivement) éclairé, 
mais s'interroge sur l'origine même du pouvoir d'automanifestation. C'est - 
semble-t-il - le sens d'un très intéressant passage du chapitre XIV . tout entier 
occupé par une méditation sur la signification des termes « dedans » et « 
dehors » (p. 125-126). Encore qu'il ne débouche pas sur une formulation 
conceptuelle très précise - ce qui, d'ailleurs, ne saurait être l'ambition d'un 
texte « populaire » comme le Tripurârahasya - un tel passage cherche 
visiblement à penser l'« intérieur » en direction même de son essence propre, 
et non plus à travers sa corrélation avec l'« extérieur ». On s'efforce ainsi, par 
une sorte de passage à la limite (dont la réflexion sur le phénomène du corps 
comme origine réelle de l'opposition interne-externe constitue un moment 
décisif), de penser un intérieur si radicalement tel qu'il n'englobe plus aucun 
espace propre, qu'il ne soit plus, en quelque sens que ce soit, un « lieu », 
échappant par là-même au clivage monde intérieur/ monde extérieur. Un tel « 
intérieur absolu » est identifié à l'aspect actif de la manifestation, c'est-à-dire 
à la liberté. La conscience n'est pas libre en plus de son pouvoir de 
manifestation, ni même par un corollaire de ce pouvoir ; au contraire, elle est 
capable de manifester parce que libre -. 
 
 
A partir d'un texte-clé comme celui-là il devient possible de ressaisir, au 
moins dans une certaine mesure, l'unité d'inspiration et d'entrevoir la 
cohérence des divers thèmes qui s'entremêlent de chapitre en chapitre. Et tout 
d'abord l'idée que la conscience est éternelle présence. En tant qu'intériorité 
radicale, en effet, elle joue le rôle du référent absolu « autour » duquel et par 
rapport auquel quelque chose comme un monde devient possible ; elle est 
donc, par principe, soustraite à toute délimitation par le temps et l'espace, 
lesquels ne prennent sens que dans le cadre d'un monde supposé déjà constitué. 
Si, à un moment quelconque - remarque Dattàtreya (p. 171) - la conscience ne 
se manifestait pas, comment l'« alors » particulier de ce moment serait-il lui- 
même manifesté ? Et comment - vu la non-manifestation et de l'« alors » et de 
la conscience elle-même - pourrait- on justement s'assurer de l'absence de la 
conscience à ce moment-là ? » (Voir aussi p. 103, 143, 161 et passim). Cette 
idée, à son tour, débouche sur le thème grandiose du « miroir spirituel », sans 
cesse repris à travers toute l'œuvre. Il signifie que le monde est contenu « dans 
» la conscience, non certes en un sens spatial mais au sens d'une dépendance 
absolue et, en apparence, non réciproque. La conscience tient ensemble, 
constitue en univers l'inimaginable dispersion des phénomènes à travers 
l'espace et le temps. Elle les laisse surgir en son sein sans être davantage 
affectée par eux que le miroir par la variété des reflets qu'il accueille A 
 
Mais si la conscience est intemporelle et non étendue, ce n'est pas en un 
sens privatif. Précisément parce qu'elle transcende la distinction de l'intérieur 
et de l'extérieur, elle ne se laisse pas représenter comme un domaine 
d'existence particulier, pur, retranché du reste, et notamment de la diversité 
phénoménale. Le « dedans » absolu est aussi bien le « dehors » absolu. Ainsi, 
à la différence de ce qui vaut pour le Vedânta, la conscience n'est pas 
comprise ici comme influencée de l'extérieur (serait-ce fictivement) par une 
insaisissable mâyâ, mais comme produisant le monde sensible en vertu d'une 
nécessité intérieure : elle « spatialise » et « temporalise » à partir de son 
essence la plus intime. Miroir, certes, mais comme le dit l'invocation initiale, 
« miroir pensant », miroir qui suscite en lui-même ses propres reflets, loin de 
les recevoir passivement de l'extérieur (cf. par ex., p. 99). Nous n'avons donc 
pas affaire ici à un illusionnisme, à un acosmisme, mais plutôt à une variété de 
pan-en-théisme où l'univers est réel en tant qu'auto-concrétisation de la 
conscience absolue : « ... le monde emprunte à la pure conscience la réalité 
qui est la sienne. Le supprimer par la pensée équivaudrait à restreindre la 
plénitude de la conscience car c'est la surexcellence même de sa souveraineté 
 
 
qui entraîne la pure aperception à se présenter sous les espèces de l'univers 
visible » (p. 216). Cette idée d'une ébullition de la conscience en elle-même, 
d'une sorte d'exultation ou d'ivresse lucide qui l'entraînerait sans cesse à « 
jouer le jeu du monde », est au cœur de la doctrine du Tripurâarahasya - et 
c'est à ce niveau (plutôt qu'à celui d'emprunts termilologiques hasardeux) 
qu'apparaît le mieux sa parenté avec l'esprit du Çivaïsme cachemirien. De part 
et d'autre, on se trouve en présence d'un übhâsaYâda, c'est-à-dire d'un « 
idéalisme réaliste ». L'une et l'autre doctrine méditent sur le mystère du couple 
formé par Siva et la Déesse, cherchant à faire comprendre comment « le repos 
translucide et calme » (Hegel), la pure immanence de la conscience à elle- 
même - l'aspect Siva - non seulement autorise mais exige le « délire bachique 
» de l'élan créateur représenté par la Déesse. 
 
Tout le reste n'est qu'une explicitation de ce thème fondamental de la « 
générosité créatrice » de la conscience. On s'expliquera ainsi aisément l'intérêt 
porté par le texte au phénomène du rêve. A la manière du bouddhisme idéaliste 
 
- mais dans un esprit diamétralement opposé - il cherche à montrer que le 
vécu du rêve est tout aussi « réel » que celui de l'expérience diurne (voir p. 
119, 161, 170, etc.). Il s'agit pour lui de mettre en évidence, jusque dans la 
conscience humaine finie, ce pouvoir singulier que détient la conscience en 
général de se procurer à elle-même le contenu de sa propre expérience. 
L'homme ordinaire croit saisir passivement ce que l'objectivité extérieure lui 
donne à voir ; en réalité il imagine ou, plus exactement, il se contente d'adhérer 
au contenu des fictions que d'autres imaginations, plus puissantes et plus 
constantes que la sienne propre, lui « imposent ». C'est le thème de la bhâvanâ 
 
- ou « création mentale » - développé aux chapitres XII-XIV avec une 
saisissante cohérence et une puissance d'évocation digne, par endroits, de la 
science-fiction. 
 
Cette disparité des capacités individuelles à soutenir un monde par la 
pensée et à l'imposer aux autres renvoie directement à la condition du sujet 
fini, souffrant et transmigrant. Ici comme partout, la servitude métaphysique se 
définit par une certaine impuissance à s'identifier à la conscience pure et à son 
pouvoir créateur infini. Mais une note originale se fait entendre, en consonance 
parfaite avec la tonalité propre du texte : le transmigrant est moins celui qui 
ignore - au sens d'un manque de connaissance - son identité à Tripurà que 
celui qui recule d'effroi devant une telle perspective, qui n 'ose pas se 
représenter libre. La servitude n'est ici rien d'autre qu'une certaine timidité de 
l'imagination, un certain vertige devant l'illimité de la toute-puissance à chaque 
 
 
 
instant ouvert devant nous (p. 169). La terreur qui s'empare du prince 
Mahâsena lorsque le « fils du sage » l'emporte à travers l'espace cosmique 
déployé par lui dans l'épaisseur du rocher (chap. XII), son désespoir lorsqu'il 
découvre au retour que douze millions d'années se sont écoulées sur la terre, 
ne font que traduire en images cette peur métaphysique. Un autre aspect de la 
même crispation est l'impératif catégorique, « le nœud du « je dois » ou du « il 
faut que » par lequel la conscience, cherchant à se dérober à son inaliénable 
liberté, se lie elle-même (cf. p. 38 etp. 96). Sans doute, cette situation est-elle 
susceptible d'une justification a priori, d'une déduction spéculavive. Le Tri- 
puràrahasya s'y essaie à deux ou trois reprises (p. 127-128, 168, 214) en 
utilisant les catégories propres au Çivaïsme du Cachemire. Mais ces 
développements manquent d'originalité et paraissent « plaqués » sur leur 
contexte. C'est que la vocation du texte n'est pas la spéculation pure, mais la 
recherche pratique d'une voie de salut. Peu importe la genèse transcendantale 
de la servitude, la seule chose qui compte est d'y échapper hic et nunc. 
 
Et sur ce point, le Tripurârahasya a beaucoup de choses à dire. D'une part, 
il excelle à mettre en évidence la présence constante de la conscience absolue, 
son affleurement dans les vécus en apparence les plus aliénés. C'est le thème 
du samâdhi « naturel » (p. 90, 146 sq., 149-151) : entrée en coïncidence avec 
la conscience pure de caractère fortuit et passager 13 mais qu'il suffirait d'une 
certaine conversion du regard pour rendre définitive. D'autre part, il revient 
inlassablement sur ce qui différencie des recueillements furtifs du sommeil 
profond et des autres états du même type (par ex., p. 129, 145, etc.). Surtout, il 
s'attache à faire saisir le caractère essentiellement négatif de l'atteinte du Soi, 
qui se ramène à un laisser-aller ou mieux à un laisser-être. Le Soi est si 
vertigineusement proche, la Déesse Tripurâ si intimement présente au coeur de 
tout être que le projet même de l'atteindre - aussi sincère soit-il et à raison 
même de sa sincérité - nous en éloigne ipso facto. Les pages où Hemalekhà - 
ailleurs Dattâtreya lui-même - tentent de faire comprendre à leurs disciples 
respectifs que le dénuement radical du pur désespoir, la démission définitive 
du vouloir propre, la capitulation sans conditions de l'intellect parvenu à la 
pointe extrême du concevable constituent la condition sine qua non du salut, 
comptent assurément parmi les plus belles et les plus précieuses de l'ouvrage. 
La chose la plus difficile à comprendre, c'est que l'ascèse elle-même, ou la 
concentration mentale, constitue l'obstacle subtil par excellence, l'ultime 
rempart de la màyâ. Et pourtant - remarque Hemalekhà à l'adresse de son mari 
qui, pour avoir goûté un instant au samâdhi ne veut plus rien connaître du 
 
 
monde extérieur - « comment l'élévation de ces paupières longues comme huit 
grains d'orge pourrait-elle suffire à occulter la Plénitude. » (p. 94 ; cf. p. 138). 
 
Il est à peine besoin, enfin, de souligner que tous ces thèmes se retrouvent 
sur le plan proprement religieux et y dévoilent leur véritable signification. 
Cette autre dimension du texte exigerait de longues analyses. Qu'il nous suffise 
ici d'en indiquer le principe. L'immanence de Tripurâ à la conscience 
individuelle est comprise, tout au long du texte, en un sens dynamique. La 
Déesse n'est pas, comme le brahman, le substratum immobile, indifférent au 
fait que l'âme vienne ou non se fondre en lui. La Déesse est, elle aussi, 
infiniment patiente. Mais, en même temps, elle ne cesse d'appeler, de 
solliciter, de provoquer l'âme individuelle. Celle-ci résiste-t-elle ; la Déesse 
lui apparaît sous la forme redoutable de la mâyâ ; s'abandonne-t-elle enfin, 
elle découvre que « tout est Grâce » , qu'elle est sauvée de toute éternité. 
 
 
RÉCIT-CADRE ET STRUCTURE DU TEXTE 
 
On a déjà eu l'occasion d'indiquer que le coeur du développement était 
constitué par le dialogue de Dattâtreya et de son disciple Parasurâma. Ce 
dialogue, à son tour, est inséré dans un récit-cadre, en même temps qu'il joue 
lui-même le rôle de cadre pour toute une série de récits et de dialogues de 
moindre envergure. Cette technique d'emboîtement des récits est très courante 
dans les littératures narratives de l'Orient en .général et de l'Inde en 
particulier. Elle est à la base de recueils aussi célèbres que le Pâncatantra 
(fables mettant en scène des animaux) ou le Kathâsaritsagara, « L'Océan des 
rivières de contes ». Les raisons de sa popularité n'ont, à vrai dire, rien de 
bien mystérieux. Produisant un certain dépaysement et favorisant par là-même 
le déploiement du merveilleux, elle répond à un certain besoin de 
divertissement. Parallèlement, en mélangeant les époques et en faisant 
interférer de multiples séquences d'événements, elle brouille toute perception 
« objective » du cours du temps et prépare ainsi, de manière subtile, l'esprit à 
accueillir des enseignements psychologiques ou moraux de portée 
intemporelle. 
 
Il est donc tout à fait naturel, en milieu indien, qu'une doctrine philosophique 
ou religieuse, dont c'est justement la particularité que de souligner le caractère 
relatif des cadres spatio-temporels de la représentation, cultive avec 
 
 
 
prédilection ce mode d'exposition, dès lors qu'elle cherche à se présenter de 
manière concrète et populaire. De tels textes procurent au pieux hindou, 
lorsqu'il se plonge dans leur lecture ou assiste à leur récitation solennelle, la 
sensation presque physique d'un arrachement au temps et à l'espace, d'une 
dérive par rapport à tous les repères objectifs de son existence sociale -. Le 
lecteur occidental, cependant, résiste sourdement à ce genre d'incitation à 
perdre pied. Ou plutôt, il n'est prêt à y consentir qu'à la condition d'être assuré 
de retrouver aisément, au terme de ces multiples dévissages et revissages de 
Matriochkas, le terrain solide de l'objectivité narrative ! D'où la nécessité de 
présenter à l'avance un tableau de l'enchaînement de ces récits. 
 
Le dialogue d'Haritàyana et de Nârada constitue, en ce qui concerne la 
Section de la Connaissance, le cadre le plus extérieur. En substance, 
Haritâyana, qui se présente comme le fidèle disciple de Parasuràma, raconte à 
Nârada comment il a reçu de son maître l'instruction spirituelle - et, pour cela, 
il est amené, de fil en aiguille, à retracer l'itinéraire spirituel de Parasuràma 
lui-même et donc à évoquer les rapports de ce dernier avec son propre maître, 
Dattâtreya. Mais, en fait, les deux personnages n'apparaissent ensemble que 
dans la première page du premier chapitre et dans la dernière du dernier 
chapitre. Le reste du temps, Nârada demeure totalement muet, tandis 
qu'Haritâyana n'intervient qu'à titre de « récitant » : c'est dans sa bouche que 
l'on doit mettre toutes les entrées en matière du type : « Parasuràma, très 
étonné, demanda :«...», ou « Dattâtreya, plein de compassion, répondit : « ... 
». » 
 
Dans les premières pages du premier chapitre, donc, c'est Haritâyana qui a 
la parole. Il rapporte les péripéties, relativement dramatiques, dans lesquelles 
Parasuràma entre d'abord en rapport, mais de manière « prématurée », avec le 
sage Samvarta (dont il reçoit l'enseignement sans être capable de l'assimiler), 
puis est initié par Dattâtreya au culte de la Déesse Tripurâ, puis quitte 
Dattâtreya pour se consacrer solitairement à ce culte, et enfin, conscient des 
limites du ritualisme, revient à Dattâtreya dans l'espoir qu'il va lui rendre 
intelligible l'enseignement ésotérique jadis reçu de Samvarta. Ce récit 
introductif s'achève vers le milieu du chapitre IL A partir de là, c'est 
Dattâtreya qui, ayant accepté d'instruire Parasuràma, conduit le dialogue. 
 
Mais, il ne se contente pas de philosopher sur le mode abstrait. Il mêle à son 
exposé des récits mettant en scène certains personnages, lesquels, à leur tour, 
développent certaines idées qu'ils , illustrent par des récits où apparaissent de nouveaux personnages, etc. Ces histoires à l'intérieur des histoires narrées par Dattàtreya lui-même sont, en général, assez brèves et ne risquent guère de faire perdre au lecteur le fil principal du discours.

 

 

"Cherche l'Ame en toi

et ton coeur s'ouvrira à toute l'humanité"

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